L’autre soir, je discutais Magic avec un vieil ami dont je tairai le nom. En poussant les cartes, d’anecdotes en topdeck stories, nous sommes entrés dans les petites heures de la nuit. Je ne sais pas exactement si c’est la fatigue, l’excellent Oban 15 ans d’âge ou une main nonchalamment posée sur sa cuisse mais à un moment, ce joueur m’a dit comme ça, dans un souffle : Magic, ça me fait bander.

Bien sûr, j’ai souri en prenant l’air indulgent de celui qui pardonne l’excès de langage un peu leste mais l’autre en face de moi a confirmé :

Sérieux Canard. Je ne sais pas pourquoi mais parfois, quand je joue à Magic, j’ai le gourdin.

Mais, mais... enfin... Tu dois bien savoir quand et pourquoi ?

Quand, oui ! C’est quand je gagne, bien sûr. Tu vois le cas le plus simple, c’est au moment de la phase d’attaque, déclarations des attaquants, le mec en face hoche la tête, examine les cartes qu’il a en main et les permanents sur la table avec cet air de crépuscule dans les yeux qui ressemble tellement à la petite mort et là, d’un seul coup, il me regarde brièvement et concède. Ça commence exactement là, un raidissement terrible qui dévoile mes chaussettes. Alors, je tends ma main et même s’il ne s’appelle pas Fernande et qu’il a autant de poils au menton que Balthor le robuste, je bande.

Tu bandes ?

Oui Canard, le gourdin ! l’épée de Kaldra ! la taupe qui feuge !!!

Ahhhh… Bah ça, c’est hormonal.

La taupe qui feuge, c’est hormonal ! Ça me ferait bien mal au cul, ça !

Tu sais, au moment de la victoire, y a tout le magasin à épices qui se met à dégobiller sa poudre à éternuer et ça part en feu d’artifesses tous azimuts jusque dans les plus petits recoins de ton organisme.

Je t'en foutrais un petit recoin, moi, salaud !!!

C'est une image...

D’abord, j’ai pas de magasin à épices. J’aime ni le saucisson à l’ail, ni le riz au curry, ni ces foutus trucs hindous que tout le monde fume et je ne prends pas de Viagra.

Mais non, je te parle de ton cerveau, du cerveau et de ses glandes endocrines. T’as bien un cerveau là haut ?

Mouais... je pense...

Si tu penses, c’est qu’il est là...

Pas con...

Bon, laisse tomber... Pour en revenir à ton érection, je peux t’expliquer les mécanismes nerveux et hormonaux qui interviennent à ce moment, quand tu tends la main vers ton adversaire vaincu. C’est le professeur Jambaler qui a éclairé ma lanterne à ce sujet.

Jambaler ?

Jambaler, c’est son nom. C’est un neurœndocrinologue de réputation internationale et accessoirement un joueur de poker et de Magic.

Avec un nom pareil, je l’aurais plutôt vu coureur cycliste ton professeur. T’es sûr que tu confonds pas avec Jalabert parce que coté hormone, y parait qu’ils s’y connaissent.

Qui ?

Les cyclistes. J’ai un pote qui m’a dit que la femme d’un cador du peloton lui a dit sur l’oreiller que son homme avait la tireuse flasque comme un boyau crevé. A trente piges !!!

Mais ça, tu vois, c’est un autre problème.

Pour sûr, c’est un problème !!! Enfin... C’est pas lui qui va s’en plaindre, question peloton maintenant, c’est lui qu’a pris la relève et je peux te dire qu’à l’entendre il a le maillot du meilleur grimpeur.

Mais là, je te parle pas de braquets, de pédales et de dérailleur, je te parle de cartes de Magic. Il ne faut pas perdre de vue la question élémentaire suivante : Magic, qu’est ce que c’est ?
Magic... Bah... c’est quand on prend son deck et qu’on pile l’adversaire, qu’on lui roule dessus…
Merde... Magic !!! Mais tu le sais toi !!! Magic, c’est l’aboutissement d’une démarche intellectuelle totale, c’est une volupté, c’est une plénitude, c’est une friandise, un fruit sans pépin, c’est un art, une illumination, l’osmose primordiale de la vie, le Yin et le Yang...

Le King et le Kong ?

Heu... mais encore...

Bah, c’est... comme ça quoi... King Kong. C’est quand t’as l’impression d’être super fort tout en haut du monde et de tenir dans ta main la chose la plus précieuse de la Terre.

Faut pas déconner quand même, la main de ton adversaire... la chose la plus précieuse de la Terre…

Mais non, je te parle du deck là !!!!

Faut que t’arrêtes avec les Kird Ape, t’es en train de faire un transfert sur ton Gruul.

C’est hormonal, ça aussi ?

Non, mais c’est aussi Magic. Et Jambaler m’a expliqué : le symbolisme de tout ça, c’est ce bref contact entre ton adversaire et toi, deux organismes, deux mécanismes. C’est l’interface entre deux corps pensants, combattants et agissants.

L’interface ?

La liaison. Sur le plan neuro-anatomique, les mains sont tapissées d'une grande quantité de récepteurs sensoriels. Lorsqu’ils sont stimulés, ils excitent une importante étendue du cerveau sensitif et le système limbique est mis à contribution.

Et sur le plan compréhension, tu m’interfaces ta phrase là ?

En gros, cela veut dire que quand tu joues, il y a une quantité de petites terminaisons nerveuses dans tes mains qui s’interconnectent et stimulent tous tes sens.

Tous mes sens !!!

Oui, tous. La vue, l’ouie, l’odeur et jusqu’aux bourgeons gustatifs de ta langue.

Des bourgeons gustatifs ? Tu me traites de poivrot, Canard ?

Mais non, j’ai pas dit le nez bourgeonné... la langue !!! C’est ça justement les stimuli sensoriels : l’odorat, du toucher et le goût.

C’est bizarre que ça me fasse ça avec les cartes. J’sens pas ça avec Isabelle. Je sens sa langue et aussi son odeur de crème fraîche mais je me demande bien ce qu’elle pourrait me dire au cerveau avec sa langue dans ma bouche, à part Mmmm...

Attends, attends… Là, faut pas mélanger les genres.

Pourquoi ? Y a cinq minutes tu me disais que c’était pas différent.

Bon, bah... voilà, tout ça, la crème fraîche, l’eau de la bouche, le jeu, les cartes, ça va directement dans ta boite à hormones faire sa petite cuisine et ça y met un boxon du diable. On appelle ça l’activité thyroïdienne. Ton organisme libère alors des endomorphines qui ont un effet antalgique et euphorisant, d’où une sensation de plaisir, de plaisir de jouer.

Un peu comme quand Isabelle cuisine un bœuf bourguignon et que ça sent dans toute la cambuse ?

Heu... pourquoi ?

Parce que quand je sens son bœuf bourguignon, j’ai envie de la serrer contre la cuisinière, de l’embrasser, de lui chopper les seins et...

Ok !!! Ok... mais ça, c’est pas les mêmes hormones.

Tu veux dire qu’il y a aussi des hormones pour les trucs que l’on fait cramponné à l’évier ?

Bien sûr, c’est l’adrénaline qui est libérée par les glandes surrénales. C’est une hormone cardio-stimulante aux effets excitateurs physiques et psychiques. C’est elle qui fait son petit effet quand tu sers la main de ton adversaire.

Et c’est libéré à quel moment au juste ? Quand je lui baisse la culotte ?

Mais... Tu m’avais jamais dit que t’avais eu une aventure avec une adversaire !!!

Mais non, ducon... je parle d’Isabelle, là !

Ah... alors ça… La décarrade, c’est mystère et boules en bronze. Les hormones, ça commence quand ça veut et ça se termine pas forcement quand le cyclope a fini d’éternuer. C’est complexe.

Bah alors, ça sert à quoi toute cette complexité si ça marche comme l’omnibus ?

Ça sert à expliquer. C’est ça aussi un match, un tournoi, la victoire. C’est une émotivité qu’il faut apprendre à gérer, une accélération du rythme cardiaque, une augmentation de la fréquence respiratoire, de la température de la peau et de la tension artérielle. Tout ça, c’est le résultat d’une décharge cortico-thalamique qui libère l’oxytoxine, une hormone identique à celles produites quand tu es en état de stress. Tous les joueurs connaissent ça, les grands comme les plus petits. C’est ça qui te donne le gourdin.

Merde, Canard… si j’avais pu commencer à huit ans !

Oui... mais les hormones, elles sont toujours là alors que les conséquences... c’est pas que la situation, c’est...

J’comprends. Si je dis à Isabelle que c’est la même chose quand je gagne un tournoi de Magic et qu’on se fait une langue fourrée, elle risque de l’avoir mauvaise. Je pourrais bien lui jacter sur les hormones, c’est pas ça qui la fera revenir avec la framboise en folie.

Comme tu dis, y a des évidences dans la vie qu’il ne faut pas chercher à comprendre. D’ailleurs, c’est suffisant compliqué pour pas mélanger les deux, les femmes et Magic.

N’empêche, je me demande bien ce que ça me ferait si je serrais la main d’Isabelle après l’avoir battue en finale d’un Pro Tour...

Bah... Tu serais en short sous le parasol...

Et c’est tout pour les hormones, que je me couche moins con ce soir ?

Oui, je crois… Ah !!! Non, il y a aussi la vasopressine.

La vasopressine ? C’est celle qui donne envie de pisser quand c’est fini ?

Non, c’est le contraire et c’est aussi une hormone responsable de l'activation des souvenirs. C’est elle qui te donne envie de recommencer. C’est sûrement pour ça que t’es encore en train de me raconter pour la 200e fois ton topdeck de la mort qui pue contre moi à Ostelen en 1999 pendant la préview Mercadia.

C’est fort les hormones quand même...

T’as pas idée...


J’étais perdu dans mes pensées et je n’ai pas remarqué qu’il s’était levé et avait rangé ses classeurs. Avant de s’éclipser, il m’a balancé d’une traite : Tiens Canard, je crois que j’ai une montée de vasopressine. Isabelle m’attend et je pense qu’elle a préparé ses tomates farcies. Oui, merde... c’est fort les hormones.
Puis il a disparu dans la nuit.
J’aime Magic...