L'épopée du barbare
Tome 2
écrit par Jean Pascal


      Avant propos : ce Tome 2 est la suite d'un premier tome (si, si) disponible à cette adresse.


Chapitre III : Le feu

Il faut chaud. Le ciel est clair, pas un nuage à l'horizon. Nous progressons lentement, profitant de cette si belle journée. Je bavarde avec mon ami Rofellos, l'elfe, tout en mangeant des baies cueillies auparavant. Arrivés au bout du champ, je m'arrête devant l'entrée d'un grotte au pied des montagnes. Des bruits sourds en sortent, des martèlements incessants qui font grogner Kriska et Liar. Je descends de ma monture et m'aventure dans cette embouchure sombre, suivi de Rofellos. Àprès avoir fait quelques mètres, nous voyons s'étendre à nos pieds un immense chantier, autour d'un bassin empli de fumée noire. Des milliers d'ouvriers de toutes races, sorciers, barbares, zombies, elfes, gobelins, humains, orcs, trolls, y travaillent. Ils sont vifs, efficaces, et ne parlent pas ; ils semblent être soumis à la captivité, ce sont sûrement des esclaves. Leurs mouvements sont précis, tels des machines. Un nain se détache du chantier et se dirige dans notre direction ; il semble nous avoir vus. Je pose alors la main sur le pommeau en Mirari de mon épée, m'attendant à tout. Mais je reconnais peu après le visage de Balthor, que je connaissais depuis ma plus jeune enfance. Cependant, ce visage a quelque peu changé : des petites rides suintantes ont fait leur apparition, rayant une peau grise et terne. Les yeux ne laissent plus apparaître ni l'iris, ni la pupille : ils sont totalement blancs. La barbe, elle, est toujours aussi rousse mais a bien doublé de volume. Elle se balance le long de la poitrine du nain pendant qu'il marche et ne s'arrête de danser qu'à quelques pas de nous. Une bague à la pierre noire de jais orne un de ses petits doigts ; une aura maléfique s'en dégage, laissant échapper de temps en temps un peu de mana noir.



Balthor me regarde, et se met à parler :

- Mon petit Kamahl, me dit il, que je suis heureux de te revoir ! Sa voix grince, elle est rauque et fatiguée. Quel bon vent t'amène ?

Il a bien changé. Mais qu'a-t-il donc? Est-il devenu adepte du mana noir? Et quelle est cette bague qu'il porte au doigt? Tout cela ne me dit rien qui vaille. Voyant l'état dans lequel est mon vieil ami, je me dis qu'il vaut mieux ne pas révéler mes activités.

- Rien de très important, Balthor. Rien qui ne puisse déranger vos travaux, lui dis-je. D'ailleurs que faites-vous avec ce bassin? Si ma requête n'est pas trop indiscrête, bien sûr !

- Un hybride
, me répond-t-il de sa voix traînante. C'est une créature qui existe dans les légendes d'antan, qui se transmet de peuples en peuples. C'est une créature moitié centaure, moitié griffon. Un hybride est redoutable au combat.

- Pourquoi en créer un, Balthor ? Et pourquoi ici, en ce lieu désert ?

- Tu poses beaucoup de questions
, me répond Balthor d'un ton méfiant. La curiosité est un très vilain défaut, et c'est pourquoi je vais te répondre en te disant seulement que c'est pour aller trouver le collier légendaire qui se trouve dans ces montagnes. Et je ne te dirai rien de plus.

- Je ne voulais pas vous vexer. Veuillez m'excuser.


Balthor fait alors folte-face et retourne dans son chantier sinistre. Je me tourne vers Rofellos, qui me regarde d'un air étonné. Nous sortons alors de la grotte et retournons vers nos montures qui broutent paisiblement l'herbe verte et grasse du champ. Rofellos me dit qu'il a déjà eu vent de ce collier. Des rumeurs elfes racontent que quiconque qui connaît l'incantation peu devenir immortel en le portant sur lui et que ce collier se trouve autour du cou du gardien des montagnes, celui que nous cherchons...

Les affaires se compliquent. Balthor a changé, c'est certain. Il a quitté sa forge, est devenu adepte du mana noir et est en quête de l'immortalité. Que faire ? Si Balthor réalise son voeu, il sera capable de mettre le monde entier à feu et à sang, soumettant toutes les civilisations à sa botte. Il faut donc arriver avant lui devant le gardien, le combattre, s'emparer du collier et le détruire avant que Balthor ou son hybride ne fassent main basse dessus. Seulement il faut faire vite, car une fois l'hybride achevé, si Balthor y arrive, cette créature pourra survoler les montagnes et arriver à son but en un rien de temps. Nous, il nous faut marcher. C'est pourquoi je fais signe à Rofellos de partir et d'avancer le plus vite possible dans ce désert de roches.

Le voyage se fait long, malgré la vitesse à laquelle nous allons. Kriska et Liar galopent, dévalant pente après pente, montée après montée. Elles courent avec acharnement, ne faisant qu'un avec leur maître. Nous arrivons à un tunnel, un petit sentier tracé par la nature qui s'enfonce sous terre. Kriska et Liar ne peuvent pas y rentrer. Nous sommes donc contraints de les laisser là, en projetant de les récupérer de retour, s'il y a un retour. Espérons. Nous rampons le long de ce tunnel obscur, tâtant les parois de nos mains, avançant à l'aveuglette. Au bout de quelques minutes, nous commençons à apercevoir la sortie, un petit trou rougeoyant encore loin de nous. Nous finissons par y arriver et nous en sortons. Nous nous trouvons devant un lac de lave, d'où se dégage une fumée rouge-orangée. En guise de berge, il y a une immense dalle en pierre polie sur laquelle nous nous trouvons. On entend alors un rugissement à glacer le sang du plus courageux des six rois trolls de la terre Aristhorienne. Je lève mes yeux effrayés vers le ciel et vois un dragon battre des ailes et descendre vers nous. Je prends alors mon courage à deux mains et dégaine mon épée. Rofellos, lui, ne bouge pas et observe le ciel. Un second rugissement retentit, presque identique au premier ; le dragon s'arrête, et tourne sa tête en direction d'un immense centaure ailé qui vient d'apparaître de derrière les montagnes. L'hybride de Balthor.



L'hybride s'est approché et s'attaque maintenant au dragon. Il le lacère de ses griffes acérées tout en donnant des puissants coups de sabots. Mais le dragon ne semble que très peu affecté pas ses attaques, il se contente de voler autour de l'hybride en l'observant le plus attentivement possible. Brusquement, il prend du recul, vient se poser sur un rocher au dessus de nous et forme entre ses deux pattes avant une boule de mana rouge et noir. Profitant de la concentration du dragon, Rofellos saisit son arc et décoche une flèche sur le dragon. Elle tranche net la chaîne de son collier qui tombe alors dans notre direction. Il tombe sur la dalle. Je saisis alors le pommeau de mon épée et puise assez de mana pour lancer un sort relativement puissant. Je lève mes bras vers le ciel et provoque une déflagration sur le collier. La chaîne fond en un rien de temps, mais le pendentif reste intact. Pendant ce temps, l'hybride, qui ne s'est rendu compte de rien, se jette sur le dragon et continue son combat acharné. Je saisis ma lourde épée, et frappe de toute mes forces sur le pendentif. Ce dernier éclate en plusieurs morceaux. Certains tombent dans le lac et fondent dans la lave en fusion, tandis que d'autres s'éparpillent. Voyant cela, le dragon pousse un hurlement de douleur, et parvient à mettre à bas son adversaire ; un grand coup de patte à travers la poitrine a suffi. L'hybride mort tombe à son tour dans la lave. Le dragon se pose sur la dalle, juste devant nous. Ils nous regarde longuement de ses yeux brillants et rouges, puis s'envole haut, très haut, jusqu'à disparaître dans les cieux.

Le coeur battant, je me tourne vers Rofellos et je me rend compte que je suis soulagé ne ne pas m'être battu contre le dragon. Comme s'il lisait dans mes pensées, l'elfe me sourit. Moi, Kamahl, le maître du feu et des montagnes, enlève mon armure et me mets complètement nu. Je plonge alors dans la lave et m'imprègne du feu qui fait fondre ces roches. Je me laisse aller dans les remous, en harmonie avec la chaleur insoutenable de la lave. Je me sens bien. Je bois de cette lave et sens la chaleur couler le long de mon corps, dans mes veines. Je me sens fort, puissant, capable de tout. L'euphorie dans laquelle je me trouve me fait sourire de bonheur. je remonte à la surface et sors du lac. Je monte alors sur la dalle, et pousse un cri de joie qui laisse échapper un énorme jet de flamme de ma bouche. Et là, je comprends. Je suis devenu le feu sacré.




Chapitre IV : La catastrophe


Nous arrivons enfin à Llanowar, forêt elfe abritant la demeure de Rofellos. Ce dernier me guide jusqu'à chez lui, une petite maison elfique fort sympathique, et me fait entrer. Nous prenons chacun une petite chope d'hydromel et nous nous asseyons face à face sur une charmante petite table de providence, un tronc d'arbre coupé parfaitement horizontalement. Il sort de sa besace un fragment du pendentif sacré, et me le donne. Rofellos me dit qu'avec ça je ne l'oublierai pas, et que je penserai à venir le revoir de temps à autre. Nous vidons ensemble notre chope et, après des adieux plutôt gênants, je me prépare à partir.

Le soir ne tarde pas à venir, et je suis épuisé. Je retrouve la clairière où j'avais dormi la veille. Je descends de Kriska et m'en vais couper du bois. Ensuite, je m'installe, et pense à tout ce qui m'attend ; je doit retourner chez les ondins pour leur donner le feu, ainsi retrouver ma soeur et rentrer avec elle chez nous. J'espère qu'ils ne lui ont pas fait de mal... Rapidement, mes yeux se ferment et je me plonge dans un sommeil lourd.

Le soleil est déjà haut, et je me lève lentement, avec difficulté. La route qui m'attend est bien longue. Je rassemble mes affaires et pars dans la bise matinale. C'est encore un jour sans nuages. Les feuillages touffus des arbres de la forêt ombragent la lumière éclatante du soleil. Tout le long de mon chemin, J'écoute les mélodies des oiseaux qui gazouillent par dessus les bruits sourds que font les pas de Kriska. Ces pas lourds qui remuent la poussière et les feuilles mortes derrière notre passage, laissant apparaître un nuage de terre aux couleurs naturelles de la forêt. Comme le disent les poèmes, la Llanowar est vraiment magnifique. Magnifique au point que je regrette maintenant d'en être sorti pour voyager sur un chemin découvert, laissant le soleil me brûler la nuque. Je descends de Kriska pour la soulager de mon poids, et pour profiter de l'ombre qu'elle me fait grâce à sa taille volumineuse. Le paysage change de plus en plus, le chemin disparaît laissant place à une immense étendue de sable, et, peu à peu, la forêt disparaît derrière des dunes dorées. La mer est sûrement très proche. Quelques minutes plus tard, le bout de mes bottes en cuir trempe dans l'eau de la mer sacrée, où réside le seigneur de l'Atlantide et où ma soeur est tenue captive.

Comme à ma première venue, une ondine sort de l'eau. C'est la même. Elle me regarde, puis, sourit. Elle a dû comprendre que j'ai terminé ma quête... Elle me tisse alors, comme la première fois, la bulle d'oxygène qui va me permettre de progresser tranquillement sous l'eau. Je rentre dedans, et nage en direction des abîmes sous-marines. Là, je revois la cité engloutie, l'Atlantide, peuplée par les ondins qui commencent à s'agiter à mon approche. Leur seigneur émerge des algues verdâtres et s'approche de moi.

- Tu es là bien tôt, me dit-il d'un air étonné. Viens-tu pour nous rapporter ce que tu nous dois en échange de ta soeur ?

- Oui. Présentez moi l'endroit où vous voulez conserver ce feu qui ne s'éteint jamais et je vous le donnerai.


La ville est construite autour d'un ensemble de coraux plats, formant une espèce de place publique. Le seigneur regarde cette place un petit moment, et semble fouiller dans ses pensées. Enfin, il me dit :

- Cet endroit fera l'affaire. Tu peux faire consumer le feu au centre. S'il brûle, je te rendrai Jeska. Si il ne brûle pas, je te conseille pour elle de repartir à...

- Il brûlera
, lui dis-je en le coupant. C'est certain.

Je m'avance dans cette place et m'arrête là où cela me semble être le centre. Je tends mon bras vers ces coraux et me concentre ; un fin jet de flamme sort de mon index et forme un petit feu sur le (sol). Peu à peu, ce feu prend de l'importance et devient un énorme brasier. Ce feu a l'air d'aspirer l'eau de la mer, comme si il brûlait l'oxygène qui s'y trouve. Heureux, le seigneur adresse quelque mots dans sa langue ondine à un de ses gardes, qui part et revient aussitôt avec Jeska. Elle se trouve elle aussi dans un cocon, et a l'air bien portante. Elle n'est pas attachée. Elle est dans la même tenue que quand on l'a enlevée: en petite tenue de nuit ; je me rends alors compte à quel point ma soeur est bien faite.

Le feu, lui ne cesse d'augmenter et d'aspirer de l'eau, créant des remous de plus en plus impressionnants. Ne perdant pas de temps en n'écoutant que mon bon sens, je me dis qu'il vaudrait mieux filer. Je prends ma soeur par la main et nage vers la surface, quittant ce monde mouillé et salé. Le feu devient vraiment immense, et commence à faire des ravages : il ne brûle pas seulement l'eau, mais aussi les ondins qui se trouvent trop proches. Il faut que je me dépêche, pour éviter les flammes et les représailles des ondins. Le feu commence à emporter avec lui quelques habitations et de plus en plus de leurs occupants. Nous sommes presque à la surface, il manque quelques mètres. Le feu a brûlé la moitié de la cité. Nous émergeons. Le feu vient vers nous. Nous courons sous la plage. Le feu est arrivé à la surface. Nous nous asseyons sur la plage, soufflant un peu, et contemplant le désastre : la cité engloutie est détruite, emportant avec elle la plupart de ses habitants. La mer sacrée, calme à son habitude, a laissé place à une étendue de flammes à perte de vue, brûlant les écumes mousseuses de la surface et les courants marins des profondeurs. Ceux qui se sont enfuis de la cité ont été sûrement brûlés, car où qu'ils soient allés ils ne peuvent en aucun cas survivre plus de quelques dizaines de minutes en dehors de l'eau.



Jeska et moi chevauchons Kriska, sur le chemin de la forge. Notre monture foule le sol de ses pas puissants, filant comme le vent sur une lande glacée. Elle dévale les collines en laissant son ombre danser dans l'herbe. À cette allure, l'arrivée à la forge est imminente : le nuage de fumée rougeoyante qui s'échappe des cheminées est de plus en plus visible. Le paysage aussi devient familier, et les grandes portes s'imposent peu à peu devant nous. Kriska ralentit le pas. Le garde barbare nous reconnaît et fait résonner sa corne pour que l'on nous laisse entrer.