Lightning Angel
écrit par Matthieu Girard


      


Il se réveille et il prend une grande goulée d’air frais qui lui brûle les poumons d’être restée trop longtemps immobile. Le soleil fait reluire sa peau de meurtrissures exquises; là où il dormait sur le côté on peut voir les marques de son bras dans son flanc. Peau rougie. Seul. Quand il relève les yeux, il est aveuglé. Littéralement comme il y a devant lui l’image atroce mais merveilleuse de quelque chose. Dans son cerveau-macaroni, il se dit que ça ne se peut pas ce genre de truc, que c’est du délire, du delirium tremens pourquoi pas, ou encore que simplement il n’est pas tout à fait éveillé, mais quand il entend la chambre du haut qui n’existe pas se refermer dans sa tête, il sait que quelque part, tout ce qui arrive est vrai. Dans des méandres, des bras morts, du sable blanchi à la craie des yeux de poissons morts, il avance un peu, mortellement blessés par la morsure émouvante d’un astre du jour orangé jetant des rais de vanadium en plein sur sa poitrine suante et nue, recouverte de tatouages.

Au loin, toujours dans le vague, pourléchée de vaguelettes à la base, une gigantesque silhouette, à contre-jour, d’ange, avec une terrible stance. Dans une main une épée festoyant les nuages, nourrissant sa rage dans les éclairs noirs d’un nuage invisible. Toute environnée d’éclairs, la grande forme aux ailes déchirées le semble aussi. Des plumes et de la peau pendent en lambeaux, en guenilles, le vêtement n’est pas guère plus qu’une robe de lin avec une solide armure de cuir et de mailles passée dessus, reluisant comme enduite d’argent natif. L’autre main semble contenir une gerbe de luminosités, un sphéroïde incertain palpitant tout serti de nébulosités qui se meuvent sans arrêt, rendant l’identification de la forme impossible.

Le type avance, comme un pantin pivotant, retombant, se cognant les yeux sur des reliefs acérés, s’écorchant les oreilles à des criaillements excités, hystériques, à des harpies sur Paris totalement décentrées, qui aguichent en même temps le nez avec une exhalaison subrepticement tentatrice. Il se sent horriblement tenté, mais il focuse sur l’ange déchue de l’autre bout. Bien que ne sachant en apprécier la texture, le grain de pêche, le teint si profond, les mers d’encre des yeux, les assassines jambes musclées qui le broieraient sans effort, à son contentement éclairé. Auréolée de sainteté, respirant de puissance, camouflant de féminins atours convaincants sous les attributs de la guerre, une ange d’éclairs. Pendant ce temps, en titubant pour y arriver, le pauvre mec en arrache mais pas façon dentiste, plus tôt il faut cependant noter qu’auparavant deux de ses molaires s’étaient vues extraites pour cause de caries, détériorant du même coup son humeur. Dans le ciel, environnant la tempête d’invisibles éclairs, à grande distance de la glorieuse incarnation, des nuages de points noirs, comme des nodules de pensées blafardes, des cancers dans des sphères, emprisonnés comme par magie. Il marche sans trop savoir pourquoi, écrasé par la présence outrageante de la silhouette qui lui commande sans arrêt d’avancer.

Des jaillissements de raison lui disent parfois que c’est insensé, qu’il n’a pas de raison de faire cela, de s’enfoncer dans un pays inconnu, en une contrée onirique, pour un quasi-mirage, pour une source de pouvoir supérieur, qu’il devrait sticker à sa routine quotidienne, que jamais il n’aurait du s’assoupir dans ce coin de la pièce absconse qui avait rendu abstruses ses idées sur la philologie et sur la psychanalyse compréhensive. Et puis, dans une fusée XL-5, il a mis tous ces conseils raisonnables, a armé les moteurs, poussé à fond les manettes de commande d »ouvertures des entrées de gaz, et les a regardé faire un grand tour dans le ciel, devenir hautes, s’y perdre, et s’immiscer, se méprendre dans les infinies confinements de l’espace de son cerveau-macaroni. Et puis, l’ange bougeait. Elle agitait les ailes, les jambes bottées de superbe, son épée menaçante semblant débiter dans un jais pur des éclisses de jade comme des monceaux de cœur qui restaient à l’homme après des temps difficiles. Des éclatements bravachants de sensualité que ses regards de la femme-ange-démon, confus à l’autre bout, un individu qui avance le cœur éclatant d’espérance, d’un mélange d’absentéisme religieux et d’idéal, d’athéisme militant et d’un désir de faire de cette ange une déesse pour lui. À tous les niveaux, elle lui ressemblait, en le surpassant, en le déclassant, le repoussant sans cesse vers des sommets d’apex, des cimes de fonds de puits; limite des zéniths d’aubes couchées.

Et puis après qu’il y soit arrivé, totalement subjugué il était, intégralement compacté de tant de beauté coupe-souffle, de cette sublime manière de langage, d’une intelligence fine, aiguisée, et d’une joliesse adorable… L’ange se nomma, grande figure battue par le vent froid des hauteurs inatteignables, impassible devant l’insignifiance de l’homme. On la nommait Valérie. L’autre, c’était moi. Le choc de la rencontre, c’est le cerveau-macaroni qui se recomposa, réapprit à apprécier à regarder batifoler les petits oiseaux, les innocents moineaux cabotins candides qui volètent de branches en branches en véhiculant un peu du soleil et de la simplicité de la vie…
Valérie sa Muse, son obsession, sa pathologie, son T.O.C., mais pas du tout du toc, une pièce rare, un oiseau de paradis échu à la surface d’une igue qui n’en a d’abord pas voulue, et qui maintenant étant désirée, ardemment, patiemment, par un homme originellement aveugle, qui recouvrait poco a poco l’usage d’une partie de lui si oblitéré qu’il avait cru nécessaire de l’enfouir sous des couches de crasse existentielle. Et puis, une grosse voix, des phonèmes gnostiques, des trompettes, des chutes d’astéroïdes, l’Armageddon quoi !

Comme quoi ça fait une belle jambe à une histoire jamais commencée, la fin du monde !

Euh… urgence de faire quelque chose, non ?

Et dans le ciel, collée là par un habile trucage écran-bleu, une ange d’éclairs tonne et rage, et se démène, extraordinaire, contre tout le reste, au dessus d’une plaine, d’une montagne, d’une île d’un cœur ravagé frémissant d’impossibles espoirs quasi-brisés, mais refusant à jamais d’abdiquer, convaincu que cette fois-ci, c’était crissement la bonne, la seule l’Unique. Valérie.