Lotus
Chapitre IV : Team[FLOOD]


      


RESUME : Une elfe et un guerrier tombent amoureux. Le sort se jouant d'eux, Dafunk possède la protection contre le vert et ne peut vivre d'idylle avec Lotus.

Qu'importe ! De vieux écrits affirment qu'il existe un sort mystérieux, aux confins du Royaume de Magicville, là où vivent les ondins, et l'Illusion, l'Hybride aux cents visages. Ce sort, c'est le Changement spectral, clef de leur amour impossible.

Vieil ami de la jeune femme, Bridou le cochon se fera accompagner de Frolll, son ange gardien, pour les rejoindre en quête, au-delà d'eux-mêmes, au delà de tout.



Chapitre IV - Team[FLOOD]



1


Le ciel avait disparu. Se repentant du monde, il s'était retiré, dissimulé par une infinité de branches que des conglomérats de géants élançaient en dômes surnaturels. On ne pouvait dire, en scrutant les hauteurs, de quelles mains avait été façonné ce monde silencieux et obscur. Çà et là, la pénombre émeraude laissait les ténèbres se mouvoir dans l'immensité du sol, où les couleurs et les formes se jouaient de toute logique. Le chemin, auparavant large et délimité, avait abdiqué au profit d'un semblant de sentier maladif régenté par les plantes difformes et les fleurs exotiques. Cet univers ne vivait que pour lui-même, froideur stérile défiant toute autre vie, tout autre espoir que celui du trépas. Dure réalité d'une terre qui ne connaissait pas l'éclat des étoiles.

Quatre formes diffuses enlaçaient le brouillard. Ces êtres se contentaient d'avancer, embrassant leur destin, pas à pas, dans le silence que leur âme leur dictait. Les quatre avaient appris à leurs dépends que la forêt était elle-même un sanctuaire. Aussi se gardaient-ils de troubler la profonde Zoria. Tous étaient au fait de ne pas troubler le sommeil des morts.

Les trêves étaient brèves, dictées par l'extrême, lorsque la sensation de faim et de fatigue se faisaient trop pressentes. Le rituel ne changeait guère. Le soldat et l'ange invoquaient le mana et dressaient chacun un cercle de protection. Vert pour le premier, noir pour le second, les murs de vie ainsi dressés leur autorisaient à tous un sommeil entier. Ils ne furent jamais en mesure de savoir combien de lunes s'étaient tenues pleines à l'abri de ces abysses luxuriantes, mais le jour vint où le Vieil Astre reprit ses droits sur la nature et sur leurs coeurs écorchés vifs.

Quatre coeurs, quatre formes, enlaçant le brouillard.



2


Les étoiles avaient éclos de l'obscurité et la douceur de la lune caressait leur peau. Le ciel toutefois s'assombrissait. Ils poursuivirent leur marche pendant un temps qui leur parurent très long quand vint la pluie de son chant mélancolique. La lueur environnante s'évapora peu à peu et Frolll retrouva la même sensation qu'il avait déjà éprouvé au coeur sinistre de la forêt : celle d'être observé par des yeux invisibles.

Sans doute fut-ce la pluie qui entraîna le cochon à sortir de sa réserve.

Dis moi, Lotus, commença l'animal, quelles ont été les raisons des Dieux lorsqu'ils m'ont désignés pour cette folie?

Ce fut l'ange qui répondit, les ailes fripées par l'averse croissante : Peut-être étaient-ils en manque de divertissement.

Ou avaient-ils un petit creux, ajouta le soldat. Les humains ne sont pas les seuls à apprécier le bacon.

Tout comme les gobs raffolent de la viande de cheval, contre-attaqua Bridou.

Dafunk lui lança un clin d'oeil moqueur et en vint à sa bien aimée.

Et bien il y a peut-être un peu de tout cela, fit-elle. Mais bien plus que tes jambons, ce sont tes qualités de courage et de vaillance qui ont joué. Elle marqua une pause et parla lentement, détachant chaque mot, comme pour les sous-peser. Pour tout un chacun, tu es et restera un être unique, capable d'un dévouement sans pareil. Il te faut savoir à présent, tu es un Elu, un de ceux que les dieux dénomment...

Une flèche siffla dans l'air et se planta dans un arbre, avec un bruit mat, menaçant, au dessus de sa tête. Des martellements de pas retentirent soudain de partout. Le sol de la forêt se mit à trembler. Lotus laissa échapper un petit cri et le cochon se mit devant elle pour faire opposition de son corps. Frolll se dégagea et regarda autour de lui : une trentaine de lutins avaient surgis de tous cotés, les flèches de leurs arcs pointées sur eux.

Bridou commença à pouffer. Lotus jeta à Dafunk un regard en biais et vit s'immiscer au creux de ses lèvres un discret sourire.

Qui êtes vous? Lança une voix.

L'ange regarda sur sa gauche et découvrit la raison des secousses. L'un de ces petits êtres, le regard narquois, s'était détaché du demi-cercle qui leur faisait face. Au contraire de ses confrères, lui n'était pas pieds au sol, mais arnaché au dos cuivré d'un Armodon. La créature, bien qu'imposante, s'était déplacée sans bruit dans la terre devenue boue. Ce farfadet lui aussi braquait la flèche de son arc dans leur direction.

A la droite de Dafunk, Bridou se tordait et tapait hilare ses pieds de porc contre le sol.

Je t'ai demandé qui vous étiez, humain, aboya leur chef. Et pourquoi ce porc est-il en pleurs? Hurla-t-il, excédé.

Et bien mon cher Monsieur, sachez que nous sommes en quête et dans l'obligation de traverser votre territoire. Quant à notre ami qui n'en puis plus, fit-il en direction des gloussements incontrôlés, il m'est avis que vos petites têtes et vos petits corps quelque peu libidineux lui évoquent la vision d'une armée de tout petits culs.

Le cochon reprit de plus belle et s'aspergea de boue.

Comment nous as-tu appelé? S'écria un lutin sombre à l'air sauvage.

Un nouvel éclat zébra le ciel et l'illumina l'espace d'un instant. C'en fut assez pour Lotus qui reconnut en cet être l'austère Kayok.

Il y eu autour d'eux de nombreux murmures courroucés et ils entendirent des arcs se tendre. Frolll se remémora alors les paroles qu'avait proféré leur ami dans la demeure de leur compagne : il nous faudra traverser le territoire des lutins. Ils n'ont jamais eu l'air trop dangereux me direz vous, mais je dois vous prévenir qu'il serait préférable de ne pas les avoir dans nos pattes... Il est en effet tout bonnement impossible de leur mentir, ce qui est regrettable lorsque l'on sait que ces petites créatures ont la fâcheuse tendance de très vite se vexer. Si l'on ajoute à cela que ces bestioles ne supportent pas que des étrangers viennent fouler leurs terres...

Ne leur parlez plus, je vous en conjure!

Le cochon ne l'entendit pas. Il hurlait à présent de rire et répétait entre deux sanglots les mots tête de cul.

Kayok et plusieurs autres rugirent de rage. Une flèche s'écrasa à deux pas de Bridou, qui n'en eut aucune conscience.

Qu'êtes-vous venus faire sur nos terres? Et quelle est cette quête?

Kayok se tenait à deux pas du soldat. La tête raide, il scrutait son visage froid de ses yeux étincellants. Le Sombre s'affirmait comme véritable leader. Dafunk resta de marbre. Le farfadet hocha la tête et retourna vers les siens.

Soit. Qu'on les emmène. Vous serez plus loquaces dans vos cellules. Vous verrez, on y prépare un excellent K-fé.

Il eut un semblant de grognement qu'aucun ne sut distinguer comme étant l'expression de l'ironie ou de la colère. La troupe s'activa et lia les quatre compagnons. Le cochon fut placé sur l'armodon. Ils se laissèrent emmener. Il pleuvait, eux avaient faim et semblaient avoir perdu la notion de toit protecteur.

Nous y verrons plus clair dans leur antre, pensa l'ange.
Un éclair raya le ciel. Après quelques instants, il observa ses amis et fut heureux de constater qu'eux aussi avaient vu. Dans l'éclat bleuté qui avait suivi le flamboiement céleste, trois spectres s'étaient dessinés au delà des buissons qui les tenaient cachés, à une quinzaine de mètres de là. Des spectre barbus et dotés d'yeux bien vivants.

Par l'amour des dieux, il s'agissait de nains.




3


Je crois que l’un d’eux nous a vu, fit Derdo, le baume au cœur. Il se tourna vers ses compagnons médusés par la scène à laquelle ils avaient assisté : leurs protégés venaient de se faire piéger.

Hé ho! Les gars, ça va?

Twix sortit de sa torpeur, suivi de Zac, qui se secoua la tête. Le magicien du groupe paraissait particulièrement affecté.

Les nains se regroupèrent et formèrent un cercle.

Tous de gris vêtus, leurs robes aux plis bien marqués et aux longues manches amples s’accordaient aux teintes de leurs barbes soyeuses. Une bande argentée leur fixait chacun l’étoffe à la taille qu’ornaient les initiales TF. Seuls leurs chapeaux pointus les différentiaient par la couleur. Celui de Zacthewizard, mage bleu de formation, annonçait le ciel azur. Twix, furtif comme l’air, arborait le blanc, à l’image de l’invisible. Enfin Derdo avait quant à lui choisi le rouge, car c’était là sa couleur préférée. La rumeur courait en ville que le trio portait en outre des slips bleu-blanc-rouge, ce qui ne fut à ce jour ni confirmé, ni réfuté par les principaux intéressés.

Pourquoi le cochon riait-il ainsi d’après vous? demanda Derdo.

Le mage au chapeau bleu haussa les épaules.

Peut-être est-ce parce que les farfadets lui évoquaient une armée de tout petits culs?...

Il médita deux secondes sur la phrase qu’il venait de prononcer puis se courba. Les deux autres firent de même et ils se retrouvèrent en tête à tête sous la pluie ruisselante.

Bon les gars. Notre mission consistait jusqu'alors à observer et surveiller les faits et gestes de ces aventuriers pour rendre des comptes à notre Tyran préféré.

Tous hochèrent la tête. La barbe de Derdo s'agita follement et laissa surgir une fine truffe noisette. Guizmo hocha lui aussi le museau. La belette s'aida ensuite de ses petites pattes pour se dodeliner jusqu'aux épaules de son maître. Kaya!

Twix, JMB t'as promis pour cette mission la bagatelle de 40 points MV, avec lesquels tu vas pouvoir t'approprier ton propre avatar.

A ces mots, le visage du muet s'emplit comme d'une vie nouvelle. Il mit sa bouche en cul de poule et remua son cou d'arrière en avant.

Es-tu prêt à risquer ta vie pour aider ces sujets?

La cadence du cou s'accéléra quelque peu.

Très bien. Derdo?

Ce dernier regarda intensément Zac puis hocha la tête derechef. Il n'y eu pas besoin de mots.

Mes amis, je suis fier de vous.

Ils s'avancèrent encore un peu et s'étreignirent.

C'est un honneur pour moi d'avoir de tels compagnons!

Ok, synchronisation des montres! Derdo tendit le bras, le point serré au centre de leur cercle.

Ses deux compères le regardèrent rondement.

Euh, dis... commença le mage. C'est quoi une montre?

Le nain au chapeau rouge cligna des yeux. Hein?... Euh... Ca c'est dans une autre histoire, je crois.

Ils se mirent alors en marche.

Zacthewizard, Twix, Derdo, Guizmo. Team[FLOOD] mode on.

=)



4


Les plantes avaient lentement évolué en cristaux et fondaient de lumière pourprée, mélanges subtils de velours bordeaux et de bleu violacé. Le terrain recelait à présent la pierre fine et colorée et partout les fontaines d'améthyste propageaient leur océan de clarté. Le ciel, déchargé de son fléau torrentiel, offrait au point du jour une aurore laiteuse indigo.

Twix écarta un fouillis de feuilles au devant de son visage et vit la sinistre troupe s'engloutir dans la brèche rocheuse du souterrain lutin. Fronçant les sourcils, il perçut alentours de nombreuses sentinelles aux aguets. Il fit la moue et se retourna vers ses deux amis.

Bon. A défaut d'infiltration, on va devoir se la jouer artefact les enfants, fit le mage.

Le muet sautilla d'excitation. Il prit un papier de sa poche, y griffonna un mot et le montra la langue pendante à Zac, qui y lu : Eto de suplisse?

Rieur, il secoua la tête. Twix fléchit les épaules, visiblement frappé d'une grande désillusion.

Attend Poto, j'ai bien mieux que cela. Zac passa la main dans l'ourlet de sa robe et en sortit une sorte de drap, qu'il déplia et posa au sol, au coeur de l'endroit où ils se tenaient. Sur le tissu se tenait un unique bouton rouge.

Messieurs, dit-il en posant un panneau au pied de l'étoffe, je vous présente l'arme ultime anti-gobelins. Mettez ceci à l'entrée d'un terrier et en l'espace d'une journée vous aurez débarrassé toute une montagne de sa vermine. Gageons qu'il en soit de même pour nos amis de la forêt. Twix, votre stylo voulez-vous?

Le nain le lui donna et Zac écrivit au panneau cette unique phrase : Attention, danger, ne pas presser! Il prit ensuite une pierre et attendit qu'un des gardes s'approche seul.



5


Ilmi se raidit. Le silence était devenu tchouc et le buisson s'était trémoussé. Or, Ilmi le savait bien, le silence ne devient pas tchouc tout seul de même que les buissons ne se trémoussent pas. Bizarre.

Un miaulement se fit entendre. Humm... Mécanismes et rouages. Cliquetis. L'image d' un chat s'inposa progressivement au lutin. Bizarre bizarre... Que fait donc un chat dans cet endroit si reculé?

Le petit être s'arqua sur ses pattes et mit sa lance en position horizontale. Ca n'allait pas être un chat qui allait jouer des tours à Ilmi!

Des prouts et des rots? Etait-ce bien cela qu'Ilmi avait entendu? Cliquetis. Mécanismes et rouages... Un chat qui pète? Bizarre. Bizarre, bizarre... Il allait voir ce chat mal élevé! Roter et péter! Ilmi allait-il laissé ce corniaud félin pétarader ainsi impunément? Oh que non!

Ilmi se mit en route et opta pour une démarche spéciale intimidation féline. Le pas lourd, il déboucha des buissons et se figea dans son attitude menaçante. Cliquetis et rouages... Pas de chat. Humm... Bizarre...

Il vit le bouton. C'en était fini de lui.

Intrigue et mystère. Bizarre... Sur ses gardes, le lutin avança à tâtons, promenant son arme sur ses devants. Une attaque de chat kamikaze était si vite arrivée...

A deux pas de la chose, il s'assura des alentours et en vint à une observation méticuleuse. Un tapis, un bouton... une pancarte... Et des mots écrits dessus... Un chat qui sait écrire? Humm... Alors. Atten... ti... on... dan... ger... ne... pas... press... er... Attention, danger, ne pas presser.

Etait-ce la curiosité qui titillait Ilmi? Humm... Le farfadet se mit à tourner autour du mystère qui le saisissait à petit feu. Ilmi commençait à trépigner. Maudit félin! Etait-ce une épreuve? Ce bouton était-il le début de sa fortune? Abritait-il un butin merveilleux? Humm... Presser...

Ilmi revit la pancarte. Ne pas toucher, danger. Le lutin commença à se gratter.

Curiosité, envie, aventure, mystère... Le rêve peignait la face ovale du farfadet. Cliquetis et rouages... Danger, attention, bobo, chat, bobo, ouille, taper... Le rêve laissa place à la perplexité.

Tremblant, il toucha le bidule de son ongle jaunit, le caressa, frissonna, et l'enleva à contrecoeur. Que cachait ce bouton? Ilmi devenait-il fou? Ilmi devait l'oublier. Oublier ce bouton démoniaque, ce bouton chatanique. Se changer la tête, là se trouvait la solution.

Le lutin posa son arme et se déboutonna. Ilmi, mon ami, ton beau corps tu dois entretenir. Pompes, abdos, génuflexions, il se mit minable... 199... 200! Raaahhhhhh...

Le nez dans la terre, il ne put s'empêcher de regarder. Le bouton était bien là, à l'attendre, intriguant, rouge... pressable.

Vient me presser, petit coquin, viens assouvir ton désir... Viens voir Papa...

Le plomb péta.

Ilmi se releva et se vit marcher vers l'objet, appuyer dessus.

Un cliquetis se fit entendre et le mécanisme se mit en route.

Bien installés pour le spectacle, les nains applaudirent à l'unisson. Sous le regard ébahis de Guizmo, le lutin venait de disparaître dans les nuages.



6


Wouuaaaahhh!!! Chef! Rassemblez les sentinelles et v'nez tous voir! Ya un dromadaire qui a laissé un bouton rouge pas loin!



7


Lotus s'éveilla dans l'obscurité. Son corps et son esprit étaient lents. Elle comprit qu'on l'avait drogué. Un son étouffé venait de nul part. Elle commença à percevoir son corps, les pressions sur les chevilles, ses poignées, les mains liées dans le dos. Lentement, elle établit le calme en elle.

L'obscurité diminuait. Il y eut des ombres, d'abord. Les dimensions furent marquées et devinrent autant d'aiguilles de perception. Blanc. Une ligne sous une porte.

Je suis sur une chaise.

On marchait. Les battements de son coeur ralentirent, devinrent réguliers, prirent un rythme. Une porte s'ouvrit. Elle devina la lumière au travers ses paupières closes.

Elle ouvrit les yeux. Le Sombre Kayok se dressait au dessus d'elle.

La cellule dans laquelle elle se tenait baignait du vert diffus des opales parsemées dans le couloir. Tout était si lointain. La pièce se dilatait puis se contractait, tantôt claire, tantôt sombre.

La lame d'un couteau gicla sa lumière.

La voix résonnait, lointaine. Si je te coupe tes liens, femme, que feras-tu?

Je ne peux rien. Et elle ne pouvait rien, ne pouvait mentir, comme elle ne pouvait mentir devant le plus commun des farfadets.

Sage enfant.

Kayok la saisit, la tira sur son siège et la maintint immobile. Le couteau fut abaissé et les liens tombèrent.

Où sont les autres?

Au calme, rassurez-vous. Un sourire lui déforma la bouche. K-fé? Il désigna une K-fetière disposée à l'ombre de la porte en bois de fer. Il la prit, se retourna, et entreprit de remplir une tasse jaunie par l'humidité et le temps.

Buvez, cela vous fera du bien.

Elle posa les yeux sur le liquide tournoyant, y dirigea un bras fébrile. Elle hésita, mais but quelques gorgées. La tasse reposée, l'elfe ne s'étonna pas de voir les traits du Sombre s'animer d'excitation malsaine?

Alors, ce K-fé?

Lotus sentit son corps se détendre, s'exhalter. Son esprit passa à un stade supérieur de perception. Elle prit conscience de l'humidité des environs, sur des centaines de mètres au delà de cette insignifiante pièce. Elle percut l'avancée d'un insecte derrière elle. Elle perçut l'odeur de l'être, l'odeur du courage, de la peur aussi. Elle en eut pitié.

Le flood, elle venait de boire du flood. Il allait lui posé des questions, elle y répondrait, n'allait pas se taire. Tel était l'effet du flood, un de ses effets.

Elle inspira profondément, perçut ses amis autour d'elle, dans d'autres pièces semblables à sa cellule. Les paroles du lutin passèrent au second plan de sa conscience et elle vit. Elle vit des farfadets dans le ciel. Elle vit une arachnide, trois mètres sur deux, claquetant ses mandibules auprès de farfadets affolés dans les nombreuses galeries souterraines. Elle vit des malheureux vomir insectes et espèces en tous genres. Elle en vit d'autres se débattre dans des liens invisibles. Elle vit des nains brandir un gourdin au dos de Kayok.

Elle rouvrit des yeux frissonnants. Le Sombre gisait par terre devant trois visages irradiés de bonheur.

Comment avez-vous...

Un des nains lui posa un doigt sur ses lèvres. Tout à l'heure. Venez, nous n'avons que peu de temps.

Ils sortirent en toute hâte. Le nain au chapeau blanc lui fit un clin d'oeil, mit sa bouche en cul de poule et bascula sa tête d'arrière en avant. :o



8


Ils émergèrent de l'étroite cellule et coururent tous quatre dans le dédale glauque qui s'offrait à eux.

Du flood! Du flood! J'ai absorbé du flood! Je ne peux plus me taire! Je vais vous faire repérer! Je ne peux pas! Je ne peux... MmmmbMMmmmhhhmmmMMMmmMM...

Lotus bâillonnée, ils reprirent de suite leur recherche. L'elfe prit les devants, courut sans réfléchir, certaine de son chemin et de ses éphémères perceptions.

Ils rencontrèrent un croisement et tournèrent à gauche. Deux lutins surgirent dans la lumière douce d'une antichambre et se figèrent. Alerte! Des intrus! Un groupe de six farfadets vint en renfort et se ruèrent sur eux.

Lotus se tourna vers les nains. MmmmmmhmmmmmMMMhmmm!!!

Kaya? La petite truffe de Guizmo surgit d'entre les touffes grisâtres de Derdo et plongea au sol. Lotus revit sa vision de l'araignée géante et remua ses doigts en une incantation muette. La belette se démultiplia et devint en un instant un abominable monstre de poils.

KAYAAAAAAAAAAA!!!!!!!!!

L'animal prit conscience qu'un maillon de la chaîne alimentaire venait de s'inverser et se rua vers ses nouvelles proies, la gueule béante débordante de dents meurtrières. Les huit malheureux battirent tous le record du 10000 M lutin.

La bande réussit à libérer Frolll, puis Dafunk, et enfin Bridou. Le cochon n'avait pas bu de flood mais fut bâillonné comme l'elfe, incapable de tenir son sérieux au devant de petits culs de plus en plus nombreux.

Les nains furent rapidement débordés. Leurs protégés subissaient l'état vaporeux de la drogue et ne leur apportaient que trop peu d'aide.

Ils arrivèrent finalement près de la brèche qui menait à l'air libre mais ne purent aller plus loin. On eut dit que le peuple lutin tout entier s'était donné rendez-vous. La large galerie grouillait de vie. Au premier plan de ce tableau fantastique, le regard tranquille d'un ancêtre les enveloppèrent de son calme intense. Le python enveloppait sa proie. Sur un infime signe de main, il fit déferler son peuple. La marée de chaires glissait sur leurs espoirs de liberté.
Si Twix avait su parler, il se serait trouvé sans voix.



9


Tous furent amenés liés, muselés, gorgés de la Liqueur.

Derdo fut le premier.

La lente voix de pierre engloba les catacombes, entiers remplis de leur minuscules habitants.

Quelle mort te semble la plus insupportable, condamné?

Son bâillon lui fut enlevé. Qu... Quelle mort? Il s'engagea dans un combat mental. Ses lèvres tremblaient de peur et de défi, il serra les mâchoires au delà du supportable. Il ne devait pas parler, l'espoir s'insinuait en lui de connaître une mort honorable et rapide. Flood contre esprit. Un maelström de souvenirs l'envahit, il revit ce jour terrible où son père fut décapité sous ses yeux. Deux dents explosèrent sous la pression, suivies d'une vague de chaleur intense. Il s'écroula à terre puis se releva, la face perlée de sueur. Son coeur cognait violemment, propageait le flood dans ses veines atrophiées. Il baissa les yeux.

... décapitation, souffla-t-il.

Le Seigneur Farfadet se leva lacement de son trône. La garde s'activa autour de lui. Il dressa lentement le bras gauche et le laissa choir.

Le groupe le virent hurler de panique, se débattre ardemment à l'appel de la vie. On entendit le martyre quelques longues secondes encore, puis l'ouverture dans la roche fondit sur le nain et ses bourreaux. Les prières furent étouffées par la pierre et le granit, elles allaient être par la suite achevées par le bois et l'acier.

L'ancêtre posa son regard sur Zac, qui ne sourcilla pas. On lui permit à son tour de s'exprimer.

Parle, l'exhorta-il.

Mon Seigneur, j'aimerais tant pouvoir vous apprendre que je suis venu dans vos lieux pour satisfaire mes pulsions touristiques et que je redoute le plus au monde de mourir violé sauvagement par les succubes de mon Seigneur JMB que je vénère.

Il marque une pause. Ses yeux prirent la couleur du feu mourant.

Mais, continua-t-il le sourire du mépris rayonnant sur son visage, je suis dans le regret de vous apprendre qu'il n'en est rien.

Le sourire se fit plus hideux encore, et le ton de sa voix plus lourd.

Mon nom est Zac, loyal serviteur de Son Altesse le Grand JMB. Ma vie durant, j'ai servi mon seigneur comme j'ai servi mon Peuple. La liberté est mon dû, tout comme elle est le dû de ses gens que vous avez lâchement enchaîné!

La milice se plaça autour de sa personne. Le nain en fit abstraction et continua sur sa lancée de haine.

Voyez-vous, je ne sers pas sous le nom de Zac, mais sous de celui de Zacthewizard. Je suis magicien, expert es magie bleue. Quant à ma mort...

Son regard devint vide. Il clôt les paupières, puis les rouvrit, les yeux révulsés de blanc laiteux. Le soldat qui le gardait jusqu'alors en joue de son épée se mit à reculer. Ce qu'il tenait en main ne possédait plus son froid et son tranchant d'origines, mais se révélait tiède et mou. Horrifié, le petit être se rendit compte que la chose se tortillait autour de son bras. Zac leva ses bras déliés et entreprit un rite mystique, les doigts de ses mains noueuses s'animant au devant du serpent, qui les fixaient rêveusement.

L'être convulsé reprit la parole. Ce n'était plus la voix du nain à présent qui coulait de ses lèvres, mais celle d'un démon qui emplit l'espace et le coeur hanté des lutins massés dans les ténèbres.

Voyez ma colère, Peuple Vert, voyez ce que votre bêtise vous rapporte! Voyez ce serpent!

Du blanc de ses yeux réapparurent ses pupilles d'un noir de jais. L'animal plongea dans la chaire de sa victime. Le bruit de succion accompagna le mugissement d'affliction qui en suivi. La voix reprit, submergea la peine de la chose à l'agonie. Que cela vous serve, Peuple ami.

Il porta son regard sur le corps sans vie qu'il avait dû sacrifier, puis se nourrit du silence qui assourdit les lieux. Quatre de vos serviteurs sont venus vous retrouver : Un elfe, un ange, un porc, et quelqu'un qui vous sera mémorable. Vous les avez enchaînés! Il fixa l'ancien. Qu'on les libère, ils ne partiront pas sans votre approbation, mais ne laissez parler que le soldat de la bande, vous avez à l'entendre. Quant à moi, bâillonnez-moi de nouveau, le flood dans mes veines ne doit pas venir l'importuner.

Il se tut.

L'ancien ne dit mot. Il observa un instant le jeune fou qui avait discouru, mais n'hésita pas : pas de fuite, lui avait-il été déclaré, il allait en être ainsi. Voyons ce que notre serviteur a donc de si important à nous dire.

Le tissu du guerrier tomba, libéra un flot de paroles blasphématoires et mensongères, car lui pouvait mentir, et c'était bien là la raison de leur voyage, à lui et à sa promise.

Il les émerveilla tous.

Amis de la forêt, je vous ai longtemps cherché et enfin vous m'êtes apparus. Ma quête engagée vers vous est un peu votre quête. Mes amis compagnons sont vos frères, car ils m'ont aidé à vous transmettre la bonne parole. Ecoutez moi!

Partout dans les catacombes des oreilles se dressèrent.

Un grand danger vous guette. Les Dieux sont moroses et abandonnent à petit feu leurs enfants que nous sommes. Mais vous pouvez remédier à cette tragédie! Il désigna le cochon. Voyez cet animal rigolard qui glousse sous sa muselière. Les têtes se tournèrent, intriguées. Vous devez adorer cet animal, car il est celui qui vous apportera gaieté et rires. Bridou est son nom. S'il rit, c'est pour vous sauver mes frères, nous sauver tous!

Je finirais par cela mes frères, il vous sera salutaire de suivre un rituel sacré, dicté par votre Bridou lui-même : Chaque matin, chaque soir, au levé et au couché du soleil, vous danserez, tous ensemble, dans le bonheur d'une vie sans cesse plus chatoyante.

Sa voix tomba et il serra la mâchoire, laissant le silence de l'espoir s'installer doucettement.

Tous n'eurent d'yeux que pour le trône et son occupant. Le vieil être se tint d'abord immobile, suspendant le temps et la vie de six insignifiantes âmes. Mais se leva, s'avança devant les siens. Son pied se plaça sur la gauche, dans un déhanchement à faire pâlir les plus salaces serviteurs du royaume. Le droit rejoignit le gauche, se trémoussa, tchoutchoutchou...

Les milliers de lutins reprirent le pas.

Ils dansèrent tous la Zoubida.