lesechos.fr a écrit :
Par Valérie de Senneville
Publié le 5 déc. 2022 à 07:38Mis à jour le 5 déc. 2022 à 07:39
Il l'avait dit : « Cette histoire Bismuth, c'est l'histoire d'un justiciable inquiet et celle de son avocat affectueux qui cherche à le rassurer. » Mais les juges de première instance n'avaient pas adhéré à la bluette : l'ancien président de la République s'était vu condamné le 1er mars 2021 aux côtés de son avocat historique Thierry Herzog et de l'ex-haut magistrat Gilbert Azibert à trois ans d'emprisonnement, dont un ferme.
Les voilà donc tous en appel. A partir de ce lundi, et jusqu'au 16 décembre, Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog et Gilbert Azibert sont de retour à la barre, rejugés en appel pour corruption et trafic d'influence.
Mais cette fois-ci, l'ambiance, sinon apaisée, pourrait être moins électrique qu'en première instance. Devant le tribunal, l'ancien président de la République avait stigmatisé les « infamies » de la procédure et sa défense avait mis en cause avec virulence l'impartialité du PNF. Le parquet national financier avait répliqué avec vigueur. « Ce procès comme tout procès n'est pas davantage une vengeance institutionnelle, ni celle de la magistrature, ni celle et encore moins du PNF », avait lancé le chef du PNF, Jean-François Bohnert.
Effets dévastateurs
Le PNF, qui jouait une large part de sa crédibilité dans ce dossier, avait dénoncé les « effets dévastateurs de cette affaire qui vient cogner les valeurs de la République », y voyant « le haut spectre de la corruption ». Le tribunal était venu clore le débat déjà houleux en déclarant les prévenus coupables pour des « faits d'une particulière gravité, ayant été commis par un ancien président de la République ». Nicolas Sarkozy, qui dément fermement ces accusations, s'est dit victime d'une « injustice profonde » et la droite avait déclenché un tir groupé contre le PNF.
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Cette fois-ci, le parquet général représenté à l'audience par Muriel Fusina et Yves Micolet n'aura sans doute pas le même passif avec l'ancien président de la République. D'autant plus que le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) est venu blanchir les magistrats du PNF qui avaient été accusés par l'actuel garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti de s'être procuré des fadettes - soit les relevés téléphoniques - d'avocats dans l'entourage de Nicolas Sarkozy, privant ainsi la défense d'un de ces arguments contre les « méthodes de barbouzes » de l'accusation . Pendant la première instance, celle-ci avait constamment entretenu la confusion entre ces deux affaires, qui sont déjà elles-mêmes assez emberlificotées.
Interceptions téléphoniques
Reprenons. L'affaire qui est aujourd'hui devant la cour d'appel présidée par Sophie Clément trouve son origine dans les interceptions téléphoniques de conversations entre Nicolas Sarkozy et son avocat et ami Thierry Herzog début 2014.
A l'époque, les deux téléphones de l'ancien président ont été mis sur écoute par les juges chargés de l'enquête sur des soupçons de financement libyen de sa campagne de 2007, qui lui valent aujourd'hui une quadruple mise en examen. Les enquêteurs découvrent alors l'existence d'une troisième ligne mise en service le 11 janvier 2014 sous l'alias « Paul Bismuth » - du nom d'une connaissance de lycée de Thierry Herzog - et dédiée aux échanges entre l'ex-président Nicolas Sarkozy et son avocat.
Pacte de corruption
Au fil de conversations qu'ils pensent à l'abri des oreilles indiscrètes se dessine, selon l'accusation, un pacte de corruption noué avec Gilbert Azibert, avocat général à la Cour de cassation, qui aurait usé de son influence contre la promesse d'une intervention pour sa carrière.
A l'époque, la haute juridiction était saisie d'un pourvoi de Nicolas Sarkozy, qui voulait faire annuler la saisie de ses agendas présidentiels dans le cadre de l'enquête pour abus de faiblesse sur l'héritière de L'Oréal Liliane Bettencourt.
Gilbert Azibert est soupçonné d'avoir eu connaissance, en amont, d'informations confidentielles et d'avoir tenté d'influencer des conseillers participant aux délibérations.
« Il a bossé, hein ? »
« Il a bossé, hein ? », se félicite ainsi Thierry Herzog sur la ligne « Bismuth », où il fait part à Nicolas Sarkozy du souhait du magistrat d'obtenir « peut-être un coup de pouce » pour un poste à Monaco.
D'après les interceptions, Nicolas Sarkozy promet alors à son avocat d'activer ses réseaux sur Le Rocher pour « faire monter » Gilbert Azibert. « Je m'en occuperai parce que moi je vais à Monaco et je verrai le Prince », assure-t-il.
Finalement, Gilbert Azibert ne décrochera pas le poste convoité et la Cour de cassation rejettera le pourvoi de Nicolas Sarkozy dans l'affaire des agendas. La preuve, pour la défense, que le pacte corruptif n'est qu'un « fantasme ».
Changement de ton
Mais l'argument avait été balayé par le tribunal correctionnel qui avait insisté sur le fait que la corruption était caractérisée dès lors qu'une récompense était proposée et acceptée en échange d'une contrepartie, que le but ait été ou non atteint.
Cependant, au cours de ces heures de conversation, un brusque changement de ton fin février 2014 entre Nicolas Sarkozy et son avocat fait supposer aux enquêteurs qu'ils se savent sur écoute - ce qu'ils contestent. Parallèlement, est donc engagée par le PNF une enquête distincte, pour identifier une éventuelle « taupe » qui les aurait informés.
Si les enquêteurs ne trouvent pas la taupe, l'affaire des « fadettes » provoquera un séisme qui vaut aujourd'hui à l'actuel garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti d'être renvoyé devant la Cour de justice de la République pour avoir lancé des poursuites disciplinaires contre trois magistrats financiers qui avait ouvert l'enquête. La cour d'appel a maintenant deux semaines pour essayer de démêler l'écheveau politico-judiciaire.
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