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Les sanctions occidentales sapent bel et bien la puissance économique russe
Les Etats-Unis et leurs alliés, par la mise en place de sanctions, visent à affaiblir à long terme l'importance de la Russie dans l'économie mondiale et à entraver sa puissance militaire. Les difficultés sont bien réelles.
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Les ménages russes sont aussi affectés par la résurgence de l'inflation en raison de la guerre en Ukraine.
Les ménages russes sont aussi affectés par la résurgence de l'inflation en raison de la guerre en Ukraine. (Natalia KOLESNIKOVA/AFP)
Par Richard Hiault
Publié le 31 mars 2023 à 11:34Mis à jour le 31 mars 2023 à 14:36
Même le président russe l'a reconnu. Pour la première fois. « Les sanctions imposées à l'économie russe à moyen terme peuvent vraiment avoir un impact négatif sur celle-ci », a concédé Vladimir Poutine la semaine dernière lors d'une réunion avec le gouvernement retransmis à la télévision.
Encore faut-il délimiter précisément l'objectif principal des sanctions occidentales contre la Russie pour en évaluer leur pertinence. Les sanctions visent à combler le vide entre les déclarations diplomatiques qui n'ont guère d'impact et les opérations militaires qui s'avèrent coûteuses. Tel est le constat d'Agathe Demarais, directrice des prévisions mondiales de l'Economist Intelligence Unit (EIU), le centre de recherche indépendant du magazine « The Economist ».
Eviter la confusion
Invitée par le Cepii, jeudi dernier, pour présenter son livre sur l'efficacité des sanctions, elle a mis en garde contre toute confusion des dirigeants politiques. « Ce n'est ni l'effondrement de l'économie ni un changement de régime qui sont recherchés avec les sanctions. L'idée est de peser sur la capacité de la Russie à mener sa guerre contre l'Ukraine », a-t-elle indiqué. Et sur ce plan, l'efficacité semble être au rendez-vous.
Vladimir Poutine estime (désormais) que les sanctions peuvent avoir un effet négatif sur l'économie russe - ma réaction rapide pour @RFI https://t.co/L6HmlBrqHb
— Agathe Demarais (@AgatheDemarais) March 30, 2023
Selon la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI) et l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l'année 2022 s'est bien révélée mauvaise pour l'économie russe . Le produit intérieur brut (PIB) du pays a chuté d'au moins 2,2 % dans le meilleur des cas et jusqu'à 3,9 % dans le pire des cas.
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Pour l'année en cours, l'économie russe devrait continuer à se contracter. L'OCDE prévoit un recul de 5,6 %, la Banque mondiale avançant -3,3 %. Le fait est qu'il est difficile d'évaluer précisément l'ampleur des dégâts économiques, prévient toutefois Agathe Demarais. « Les statistiques sont un outil de désinformation et les chiffres les moins flatteurs sont dissimulés », a-t-elle expliqué.
Entraves technologiques
Un an après l'invasion de l'Ukraine par la Russie , « les sceptiques crient que les sanctions occidentales n'ont pas réussi à arrêter la machine de guerre du Kremlin. C'est vrai », indiquait en février, Michal Wyrebkowski , chercheur à la Yale School of Management. Avant d'ajouter : « Plus de 1.000 multinationales occidentales se sont retirées de Russie […]. Pour un pays qui dépend des importations et du transfert de technologie, les sanctions occidentales ont enterré les rêves de tout développement économique pendant des années, voire des décennies. »
Washington cherche à asphyxier le secteur énergétique russe et ramener sa part mondiale de 30 % à 15 % à long terme.
Agathe Demarais (The Economist Intelligence Unit)
C'est bien le but recherché par les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux. L'affaiblissement de la puissance économique russe. Au niveau global, les Etats-Unis ont notifié des sanctions sur plus d'une dizaine de milliers de produits. « Ils ont pris plus de sanctions en vingt ans que les Nations Unies, l'Union européenne et le Canada réunis », observe Agathe Demarais.
L'énergie visée
Outre les entraves au développement des capacités militaires russes, l'énergie est visée. « Washington cherche à asphyxier le secteur énergétique russe et ramener sa part mondiale de 30 % à 15 % à long terme. Ils veulent par exemple entraver toute nouvelle exploitation de champs d'hydrocarbures dans de nouvelles régions russes du grand nord qui nécessiteront des technologies de pointe dont seuls les Etats-Unis disposent. » Et pour l'heure, la Chine ne peut pas être une alternative à la technologie américaine.
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La dépendance vis-à-vis de la technologie et des chaînes d'approvisionnement occidentales s'étend d'ailleurs bien au-delà de l'énergie, explique Michal Wyrebkowski. « L'industrie russe dépend de l'Occident. En 2020, la Chine n'a fourni que 13,3 % des tableaux de commande électriques, 14,1 % des moteurs à combustion et 9,81 % des pièces de machines de travail des métaux. Les entreprises informatiques russes dépendaient des solutions occidentales pour 80 % de leurs besoins », avance-t-il encore.
La Chine en question
Remplacer les fournisseurs occidentaux par d'autres, notamment la Chine, n'est pas si aisé. « Les entreprises chinoises ne se sont pas précipitées sur le marché russe. Les exportations chinoises vers la Russie n'ont progressé que de 12,8 % l'an passé, au même rythme que les exportations vers d'autres pays », souligne Agathe Demarais.
« Les tentatives russes de mettre en place des programmes de substitution des importations pour remplacer les composants occidentaux par des composants fabriqués en Russie coûteraient des centaines de milliards de dollars », juge, pour sa part, le chercheur de Yale. Résultat : au mieux, la Russie ne retrouvera pas le niveau de son PIB d'avant-guerre avant 2027, prévoit l'experte de l'EIU. Les sanctions sont bien une affaire de long terme.
Richard Hiault