Je voudrais que tu n'oublie pas la distinction que j'ai proposée entre peuple-ethnie et peuple-politique, de manière à ce que les choses ne deviennent pas trop confuses (et puis c'est ce que tu m'avais demandé, des définitions).
J'ai parlé de peuple-ethnie pour les groupes humains identifiés par et organisés autour d'une ascendance -les ancêtres- et de traditions -des usages décidés par les prédécesseurs-, c'est-à-dire identifiés et organisés autour d'un passé.
J'ai parlé de peuple-politique pour les groupes humains identifiés par et organisés autour d'une aspiration commune -une conception commune de la justice notamment- et d'un projet commun -des lois que les vivants se donnent à eux-mêmes ou qu'ils veulent se donner à l'avenir-, c'est-à-dire identifiés et organisés autour d'un avenir.
J'ai dit que les deux formes d'identifications et d'organisation peuvent cohabiter, qu'elles ne sont pas nécessairement contradictoires, et j'ai donné plusieurs exemples : l'on peut très bien être à la fois rassemblé par des traditions communes et des aspirations communes par exemple, c'est même souvent le cas, ou être issus de traditions différentes et partager un même projet politique.
J'ai dit que vouloir revenir à un pur peuple-ethnie c'est refuser un avenir en commun au nom d'ascendances différentes et de traditions différentes, car par construction refuser la forme politique pour que ne subsiste que la forme ethnique c'est concevoir l'avenir comme identique pour toujours au passé.
Alors qu'il est tout-à-fait possible d'articuler ensemble des passés différents et un avenir commun, ou si besoin est un passé commun et un avenir différent (le Québec et la France par exemple).
Sinon, concernant les faits historiques que tu rapportent, je suis d'accord avec toi sur de nombreux points :
Citation :
Le premier peuple-politique antique, c'est la tribu, la cité, l'ensemble des hommes qui s'organisent et vivent sous les mêmes lois, les mêmes croyances et surtout les mêmes rites.
Citation :
Etre massiliote au 5eme siècle av JC signifie plusieurs choses : relever de la culture hellénique (partager un certain nombre de croyances, de rites, une langue, des pratiques avec le monde hellénique) / relever du peuple-politique massiliote (être soumis aux lois de la cité Massilia) / être lié à l'ethnos phocéen. Trois notions parfois proches, étant donné le contexte historique, mais toutefois différentes.
Je suis exactement d'accord avec toi, je n'ai pas mentionné les grecs de l'antiquité pour rien ^^
Chez eux il y avait à la fois des relations de type ethniques entre colonies -déterminées par la généalogie, "qui a fondé quelle colonie"- et des organisations de type politique à l'intérieur : les vivants ont le droit de changer les lois en fonction de leurs besoins présents et à venir et ce sont les bonnes lois qui font les bons peuples.
Il y a bien articulation entre les deux, mais l'innovation réside dans le fait d'être capable de s'extraire des traditions pour changer de lois en fonction des besoins et des aspirations des vivants.
Citation :
Le peuple-politique ne nait pas forcément d'une supposée unité de base que serait l'ethnie, il nait avant tout de l'organisation des hommes entre eux.
Ce que j'ai dit c'est que le peuple-politique naît de l'organisation des hommes entre eux autour d'une aspiration et d'un avenir, alors que le peuple purement ethnique est une organisation fondée exclusivement sur le passé (ascendance et traditions).
Citation :
On pourrait parler de l'Ecosse médiévale, nation indépendante, qui est née de la réunion progressive de 3 voir 4 entités ethniquement et politiques différentes, pour former un peuple-politique (que ce terme est réducteur). Elle n'est pas née d'une ethnie en particulier.
Je pense qu'il y avait une petite confusion quelque part car ça va dans mon sens.
Citation :
Quant aux Kanaks, ils sont bel et bien définis comme ethni, mais pourtant intégrés au peuple-politique français. Ils ne sont pas pour autant le géniteur du "peuple français".
Le peuple français étant un peuple-politique il n'est pas construit autour de ses géniteurs, il n'est pas défini par eux. Quand un peuple-ethnie intègre un peuple-politique il n'en devient pas le géniteur, et il ne disparaît pas comme peuple-ethnie.
Il disparaît en tant que
pur peuple-ethnie car il s'articule désormais avec l'avenir commun que propose le peuple-politique qu'il a intégré.
Après, le cas des outre-mers est très particulier et je ne suis pas sûr moi-même que cela puisse tenir indéfiniment. Je pense que la géographie nous impose des avenirs différents, et donc que tôt ou tard il faudra nous séparer politiquement -même si alors nous aurons un passé en commun.
Citation :
[l'empire romain]
Je n'ai pas zappé comme tu le dis 500 ans d'histoire pour le plaisir du mensonge, mais parce que ce n'est pas directement notre sujet et que j'essaye d'être le moins long possible -ce qui n'est pas du tout évident ^^
Je suis même d'accord avec toi, le délitement de l'Empire -je n'ai pas dis "la chute"- a été un phénomène très long où il y a eu moins de ruptures que de continuités. Comme tu le soulignes les entités politiques qui se sont peu à peu construites sur les restes de provinces romaines se sont réclamées de l'héritage de Rome, ils en ont conservé les symboles et les attributs tout en revendiquant des particularismes.
Mais dans ce cas précis, le passé commun c'est l'héritage de Rome et les particularismes ce sont les prétextes et l'habillement des nouvelles structures politiques, structures dominées par des familles puissantes très romanisées. Ces nouvelles structures n'avaient donc rien d'ethnique et même si ça a pris du temps c'est bien sur le féodalisme que ça a débouché.
Le féodalisme est un système organisé en fonction du besoin des vivants, des impératifs du moment, et ils sont nouveaux ! Il n'y a pas eu régression vers un ethnique pur, la dimension ethnique a continué à s'articuler avec la dimensions politique -mais sous d'autres modalités que du temps de l'Empire.
Citation :
Il y a un problème à dire que d'une part, un peuple-politique nait naturellement d'un peuple ethnique, puis, d'autre part, dire qu'un peuple-politique nait naturellement de l'expansionnisme d'une ethnie sur un ensemble d'autres ethnies.
Les deux sont possibles, je ne vois pas le problème : un peuple-ethnie peut donner lieu sans mélange à un peuple-politique (cas grec), puis à un peuple-politique mélangé ethniquement suite à une expansion territoriale (cas romain), puis à des peuples-politique plus homogènes ethniquement suite au démembrement du territoire (cas de l'Europe féodale), puis ...
Citation :
Il est parfaitement malhonnête d'affirmer qu'un peuple-ethnie "se transforme" en peuple-politique. Ce sont deux définitions distinctes qui ne recouvrent pas les mêmes réalités. Une transformation se définit comme le passage d'un état à un autre. Les Kanaks restent des Kanaks, leur triple nationalité les rattachant entre autre au peuple-politique français est une construction politique et administrative, c'est tout. Point de transformation.
Le passage d'un état à un autre ici, c'est le passage d'un peuple-ethnie "pur" à un peuple-ethnie dont le moteur n'est plus la dimensions ethnique -même si elle existe encore-, c'est-à-dire le passage à un peuple-politique.
Et l'histoire de tous les peuples montre que ce passage est une transformation radicale, irréversible et même traumatisante dans bien des cas. Car lorsque la dimension ethnique initiale (ascendance et traditions) ne gouverne plus seule, elle est peu à peu remplacée par des éléments non-ethniques y compris dans ses fonctions traditionnelles.
Aujourd'hui par exemple on se réfère à la tradition droit-de-l'hommiste, alors que c'est un élément de politique qui est venu remplacer en son temps d'autres éléments traditionnels, qui avaient remplacés en leurs temps d'autres éléments traditionnels, qui avaient [...], etc, qui avaient remplacé il y a très longtemps des éléments purement ethniques.
Citation :
Enfin, je ne comprends vraiment pas comment on peut célébrer une tendance à l'unification politique, que l'on considère irréversible, tout en brandissant en oripeau le souverainisme des petits peuple-politiques. Allons donc jusqu'au bout du raisonnement !
L'expansion territoriale n'est pas irréversible, c'est le passage d'un peuple-ethnie pur à un peuple-politique qui est irréversible. Il n'y a pas de retour possible vers la forme purement ethnique d'organisation mais un peuple-politique peut très bien se diviser (bientôt la Belgique ? L'Espagne ? les états-unis ?).
Simplement, la division ne peut pas être durable si elle n'est motivée que par une dimension ethnique. De la même manière que la fusion de plusieurs peuples-politique ne peut être durable si elle n'est motivée que par une dimension ethnique.
Pour qu'une entité politique se conserve il faut qu'elle soit en mesure de fournir à tous ses éléments un avenir commun, et le seul moyen pour ce faire c'est que tous ces éléments aient des intérêts stratégiques en commun.
J'ai déjà été très très long, donc je ne vais citer qu'un seul type d'intérêt stratégique : la défense.
La défense du territoire contre une agression étrangère est l'élément le plus important parmi les fonctions qu'une entité politique doit pouvoir assurer à sa population, ce qui conduit les territoires correspondant à s'ajuster à des éléments de géographie facilement défendables : cours d'eau, montagnes, grands lacs, mer, ...
Raison pour laquelle la Crimée doit impérativement demeurer sous contrôle russe, ainsi que le versant Nord du Caucase, raison pour laquelle la France doit impérativement conserver son contrôle du versant Nord des Pyrénées -dont le pays basque français.
Sans quoi ni ces petites régions ni la grande nation ne pourraient se prémunir correctement contre une agression, qu'elle vienne de la grande nation contre la petite ou de l'étranger contre la grande en passant par la petite.