Chacun ses biais, ne crois pas que tout le monde s'imagine une ethnie lorsqu'il entend "peuple".
Pour moi, tout le monde a pu le noter, "peuple" sert surtout à désigner ou bien la fraction dominée majoritaire -un peu comme un marxiste dirait "prolétariat"- ou bien la totalité de la population citoyenne -le peuple auquel notre constitution fait référence.
Passer de l'une à l'autre sans prévenir n'est pas complètement rigoureux mais porte rarement à une vrai confusion, les deux termes renvoyant en définitive à une forme de majorité.
Par contre, parler de peuple au sens ethnique c'est parler d'une chose très différente. Il ne peut pas y avoir de confusion anodine entre le peuple-populace ou le peuple-politique et l'ethnie, ils sont construits très différemment.
Déjà d'un point de vue historique, l'ethnie est très antérieure au peuple-populace et au peuple-politique. Elle ne renvoie pas à un destin commun, un avenir commun, une aspiration commune, mais au contraire à une ascendance commune, à une tradition commune, à un passé commun.
Elle n'est pas nécessairement contradictoire avec les formes modernes de la notion de peuple, il y a beaucoup d'exemples de cohabitations réussies. Par exemple :
-Au Burkina Faso : où l'ethnie a encore une importance considérable, car toutes n'ont pas les mêmes langues ou dialectes, se distinguent par des superstitions différentes, quelques usages différents, certaines sont associées à un monothéisme en particulier (d'autres comptent autant de chrétiens que de musulmans), etc.
Néanmoins les burkinabés sont très attachés à leur appartenance commune à la nation burkinabè, l'ethnie et la nation s'articulent sans jamais entrer en conflit. Au contraire, les spécificités ethniques sont l'objet d'une fierté carrément chauvine -un peu comme un français qui se féliciterait de ses 300 fromages qui puent et de ses centaines de terroirs viticoles.
-En Russie : il y a encore quelques frictions, d'accord, mais il y a aussi et surtout cohabitations sans problème entre beaucoup d'ethnies très différentes au sein de l'état russe ; bouriates, mongols, nénéts, caréliens, allemands, russes musulmans, russes orthodoxes, yakouts, kazakhs, etc.
-En France, bien sûr : où les spécificités régionales sont d'autant moins marquées par rapport à d'autres pays que notre histoire commune est déjà longue et les mélanges de populations anciens.
En France être breton ne signifie pas ne pas être français, et de la même manière pour les berrichons, les morvandiaux, les auvergnats, les marseillais, etc. Les mouvements séparatistes, pourtant encouragés par l'UE, n'ont presque aucun succès.
En ce sens aspirer à revenir d'un peuple-politique à un peuple-ethnie, voir une contradiction entre les deux, c'est fonder la légitimité non pas sur une aspiration commune mais sur une ascendance commune.
C'est refuser de s'associer, de mettre les destinées réciproques en commun, au nom d'un passé différent : c'est de l'essentialisme, c'est refuser que l'avenir puisse être différent du passé, c'est vouloir s'opposer à la constante mutation des us et coutumes sans rien proposer en contre-partie.
Lorsque deux peuples veulent se distinguer en raison d'intérêts objectifs divergents, parce que la géographie ne leur permet pas de s'organiser en commun pour leur défense par exemple, refuser de s'associer trop étroitement ne se fait pas en vertu du passé mais en vertu de l'avenir.
Dans ce cas-là la divergence n'a pas besoin de peuple-ethnie pour s'exprimer, la forme moderne du peuple-politique permet de le faire aussi bien sinon mieux -mieux car en ne se fondant pas sur les origines individuelles.
Voilà pourquoi, de mon point de vue, la lente transformation-incorporation des peuples-ethnie en peuples-politique est une forme d'évolution utile. Vouloir revenir aux ethnies serait de mon point de vue une régression, à moins que cela ne s'articule simplement dans le cadre plus vaste d'un peuple-politique (comme au Burkina ou en France).
Par contre, pour ceux qui veulent détruire les peuples-politiques, mettre en avant les peuples-ethnie peut être un moyen de les diviser sur des bases arbitraires et irrationnelles, pour en définitive les asservir à un régime politique construit contre leurs intérêts objectifs (les états-unis, l'EU des régions fédérées).
Désolé pour le paver ^^
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