@jeandoozz :
Merci pour ta réponse. Je me permets également quelques remarques.
"jeandoozz" a écrit :
le problème est plus compliqué que juste "censure ou non censure de la science innocente"
Je n'ai jamais posé ni même présupposé que la science était innocente. Et c'est là un point important dans un débat autour de la censure et de la liberté d'expression : sont-ce uniquement les personnes ou les institutions "innocentes" (ou "bonnes", ou "morales", ou "utiles", ou "intéressantes", ou...) qui doivent avoir le droit de pouvoir s'exprimer sans entrave ? Faut-il corrélativement censurer les personnes ou les institutions qui ne sont pas "innocentes" (donc qui sont "coupables", ou "mauvaises", ou "méchantes", ou "immorales", ou "inintéressantes", ou...) ?
Un libéral classique (du genre de John Stuart Mill, par exemple), va soutenir qu'il ne faut pas plus censurer l’innocence que la culpabilité en parole, la vérité que la fausseté en parole.
Donc : même si "la science n'est pas innocente" (ou, pour formuler les choses plus précisément relativement à notre sujet initial : même si notre mathématicien de la HPGVM a des arrières-pensées dignes des heures-les-plus-sombres-de-notre-histoire-©), ça n'est pas suffisant, en tout cas selon Mill, pour justifier sa censure.
La situation que tu as donné en exemple pour nourrir le débat, à savoir
la formule magique qui permet de tuer son voisin, est un truc intéressant à discuter - en tout cas de mon point de vue, le point de vue d'un libéral classique - car
c'est une situation qui va immédiatement brouiller la différence entre la parole et l'acte.
Or la défense de la liberté d'expression, de la plus grande liberté d'expression possible, repose souvent sur un argument qui consiste à rappeler la
distinction fondamentale entre la parole et l'acte. Cette distinction s'exprime notamment en cas de procès :
le préjudice subi par les paroles n'est pas objectivement constatable ni mesurable, contrairement à un préjudice matériel.
Ton exemple, par sa forme même, casse cette distinction (puisque la formule magique est une parole spéciale qui, contrairement aux paroles réelles, provoque des effets matériels, en l’occurrence la mort d'une personne), et va, d'une certaine manière, dans la même direction que
la propagande de l'époque (autrement nommée : le politiquement correct) qui veut nous faire croire que les paroles à elles seules ont le pouvoir de directement tuer, blesser, détruire, etc. ("Le racisme n'est pas une opinion... c'est UN CRIME !!!") Et donc il faut faire taire ces paroles coupables.
Relisons ton exemple : la manière dont tu as formulé les choses laisse penser que tu te focalises sur la parole
en tant que telle (la formule magique qui tue) et que celle-ci concentre l'intégralité du danger en elle-même. Tu n'as pas jugé utile de faire mention de cet homme qui l'utiliserait pour tuer son voisin. Or, sans cet homme pour prononcer la formule magique, point de victime. Et là, problème : car s'il faut l'alliance de la formule magique (de la parole) ET d'un homme pour causer le préjudice (la mort du voisin), on est en droit de se demander pourquoi l'intégralité de la sanction doit portée sur uniquement l'un des deux composants (censure de la parole). A la place, pourquoi ne pas autoriser la diffusion de la formule magique mais couper la langue des hommes pour éviter que ceux-ci ne la prononcent et tuent leur voisin ? Évidemment, on est dans un scénario loufoque, mais le but, derrière celui-ci, c'est simplement de montrer combien aujourd'hui on est suspicieux à l’égard des opinions, les paroles, les idées
en tant que telles... notamment celles ne vont pas dans le sens de l'Empire du Bien.
Est-ce une sorte de principe de précaution qui nous pousse dans cette direction ? Avant, la Justice se devait de sanctionner les crimes commis (donc des actes réalisés effectivement et aux effets constatables empiriquement). Sommes-nous désormais dans une ère qui veut prévenir les méfaits par avance ? (cf.
Minority Report) OK, admettons, posons cela ainsi, puisque manifestement il s'agit du bien de l'humanité. Mais alors, en reprenant ton exemple, jeandoozz, je te pose courtoisement cette question :
étant donné que la science peut découvrir et produire des formules magiques capables de tuer ses voisins, la bonne prévention n'est-elle pas, au fond, de tout simplement interdire la science ?