"ZeSword" a écrit :
J'avoue avoir énormément de mal avec ce genre d'argumentaire, et j'avoue trouver que le fait que n'importe quel clampin ait le droit d'acheter un fusil d'assaut AR-15 (aussi connu sous le nom M16), c'est quand même très dangereux. Je préfère qu'on rende ça illégal.
J'ai envie de dire que ton paragraphe sur les armes valide ce que j'ai dit, à savoir que (je me cite) "la propagande de l'époque (autrement nommée : le politiquement correct) [...] veut nous faire croire que les paroles à elles seules ont le pouvoir de directement tuer, blesser, détruire, etc.". Car
la première chose à laquelle tu penses lorsque je parle d’"opinion" et d’"idée", c'est "fusil d’assaut" et "AR-15"...
Tu vas répliquer, sans doute, que c'est seulement la forme logique de mon argumentaire que tu critiquais; et que le recours au cas des armes à feu n'était qu'un moyen pour toi de démontrer qu'un tel argumentaire pouvait rapidement amener à des aberrations. J'entends bien. Mais de deux choses l'une :
- D'abord, j'ai le droit de contester - et j’use immédiatement de ce droit ! - la légitimité de ta démarche qui consiste à sortir mon argumentaire de son contexte (contexte qui est aussi son domaine de validité). Je veux dire par là qu'
une partie des arguments en faveur de la liberté d'expression portent sur le fait (et ne valent qu'en vertu de ce fait) que les idées, les paroles, les opinions sont des choses de l'esprit, des choses éthérées, ce ne sont pas des objets matériels, ce ne sont pas des choses en plomb comme peuvent l’être les balles de M16. Qu'est-ce que cette différence recouvre concrètement ? Très simple et très intuitif à comprendre : Prends n'importe quel être humain (ou pygmé) de la surface terrestre, puis pointes à bout portant ton M16 sur la tête de cette brave personne, au niveau du cerveau, puis tires. Ensuite, tu constates l'effet qui en résulte. Sauf miracle divin qui va se produire peut-être 1 fois sur 1.000.000, la cible meurt sur le coup. Maintenant, tu prends la même personne, et au lieu de lui tirer un coup de fusil dans la tête, tu lui dis, à haute voix, par le pouvoir de la parole, n'importe quel propos que tu juges (ou qui est jugé par la société) intolérable, insupportable, coupable, condamnable, dégradant, etc.. Et tu constates l'effet produit sur cette personne. Du point de vue des statistiques, on ne sera pas du tout sur le même nombre de morts. Avec un peu de chance et d'entrain, en criant très fort sur des personnes âgées qui ont le cœur fragile, tu réussiras peut-être à provoquer quelques AVC par ci par là... mais rien de comparable au score de Kevin avec son M16 fumant. Attention : ce scénario imaginaire n'a pas vocation à prouver que parce que les paroles ne tuent pas sur le coup, alors tout peut être dit. Je voulais juste démontrer à l'aide d'une illustration simple et visuelle que non,
une parole et un fusil d’assaut n'appartiennent pas au même registre de choses - et partant, ce qui vaut pour l'un ne vaut pas automatiquement pour l'autre, et inversement.
- Ensuite, et surtout : mon propos (dans mon message précédent) était surtout de poser la question de jusqu'où devait remonter la logique préventive du crime, entendu que
prévenir c'est, par définition, empêcher que se réalise un effet néfaste découlant d'une chaîne de causalité en neutralisant un des maillons de cette chaîne.
C'est ce que je voulais dire en demandant pourquoi il fallait plutôt censurer la formule magique tueuse de voisin de jeandoozz et non pas couper la langue des gens.
Toi, ZeSword, tu sembles sensible au problème des fusillades. Je te demande ceci : étant donné que les tueries de masse par armes à feu sont 9 fois sur 10 provoquées par des hommes (mâles), pourquoi, plutôt que d’interdire en soi la vente des armes (et pénaliser alors les femmes pratiquants la chasse), ne pas seulement l’interdire aux hommes ? Où alors : plutôt que d'interdire la vente des armes à feu, pourquoi ne pas remonter un échelon plus en amont dans la chaîne de causalité, et interdire, tout simplement, la fabrication des armes à feu ? Puis, pourquoi ne pas aller plus loin encore dans la prévention en mettant vraiment toutes les chances de notre coté en supprimant tout simplement toutes les usines de fabrication de biens manufacturés ? Ainsi, non seulement on ne pourra plus fabriquer d'armes, mais on pourra aussi se prémunir contre une éventuelle situation où une usine de fabrication de feu d'artifice (ou de n'importe quoi d'autre) serait malicieusement détournée par une mafia locale pour fabriquer secrètement des armes ? Mais peut-être est-ce encore trop de risques ? Peut-être que pour éviter à coup sûr qu'il y ait des morts par fusillade, la solution la plus adéquate reste encore d'interdire aux gens de sortir de chez eux ?
Bref. Le but, ce n'est pas de tourner en ridicule ta position sur les armes à feu ; mon but, c'est de poser la question de jusqu'où le principe de précaution, ou plutôt jusqu'où ceux (politiques, journalistes, juges, intellectuels, etc.) qui s'en réclament (explicitement ou implicitement), au motif de nous protéger, nous autres, pauvre petit peuple fragile, sensible et craintif, jusqu'où, disais-je, entendent-ils remonter dans la chaîne des causes. Vous savez, pour paraphraser Rousseau, si pour vous ce qui compte le plus, c'est la sécurité, la sécurité avant tout le reste, et bien votre place est dans une cellule de prison, en isolement. C'est encore là sur terre où on est le plus en sécurité !
"ZeSword" a écrit :
Que voit-on aujourd'hui dans les débats ? Égalité du temps de parole entre pro-A et anti-A. Quel que soit A. Au nom de je ne sais quoi, des gens comme Zemmour ont autant de temps de parole dans les débats que les gens en face. Même puisque tu parles des heures sombres, on en est quasiment arrivés à donner autant de temps de paroles aux négationnistes qu'aux autres (pas encore, puisque le négationnisme est puni par la loi en France, mais tu vois l'idée).
Donc, les idées de monsieur Mill ont gagnés.
Alors là, mon ami, je conteste
complètement,
intégralement, de
A à Z, ce constat que tu dresses.
Zemmour n'a le droit de parler sur un plateau de TV que lorsque le
Système (avec un grand
S) a posté en face de lui au moins 5 ou 6 chroniqueurs ou petites salopes de journalistes dont le Système (toujours avec la majuscule) sait qu'ils feront leur boulot de chiens de garde. Du reste, Zemmour joue avec la carte Juif dans sa main, ce qui l'immunise potentiellement (et potentiellement seulement) contre l'accusation d'être un nazi. Quant aux négationnistes dont tu fais mention, il faut vraiment que tu précises quel média leur a donné "autant de temps de parole" "qu'aux autres" ! Parce qu'à part le "média Dieudonné" qui a fait monter Faurisson une fois ou deux sur scène, personnellement, je ne vois pas.
Je ne vais pas m'étendre trop sur ce sujet mais je vais quand même faire deux remarques que je pense assez importantes :
- John Stuart Mill ne pose pas le problème en terme de "temps de parole". (Le temps de parole est un truc accompagnant la société de la radio et de la TV, donc une société qui n'existait pas à son époque.) Il pose le problème en terme de légalité : la loi doit-elle ou ne doit-elle pas interdire telle ou telle opinion ? Tu dis que les idées de Mill ont gagné... pour ensuite, trois lignes plus bas, rappeler que le négationnisme est "est puni par la loi en France". C'est contradictoire et tu viens de démontrer au passage que les idées de Mill n'ont donc pas gagné en France.
- Penser qu'un concept comme "l'égalité du temps de parole" ou que d'autres trucs comme [la présence dans un journal ou l'invitation sur un plateau de TV d'une personne/idée dissidente] suffissent à prouver l’existence d'un pluralisme des idées, ou de la neutralité des médias en matière de contenu idéologique, c'est, je crois, manquer complètement de compréhension quant à
l'évolution du raffinement de la propagande dans nos sociétés.
"ZeSword" a écrit :
On est dans la société du "tout se vaut, et c'est le mec derrière son écran qui doit faire la part des choses". Et je trouve que c'est quand même un problème, puisque précisément, le mec derrière son écran, il n'a pas le temps pour faire la part des choses, il a son boulot, sa famille, etc.
Oui, et parfois, on lui demande même de voter !... et ça s'appelle la démocratie.
"jeandoozz" a écrit :
l'idée que les paroles peuvent avoir des effets concrets (sans parler des fameux "actes de langage") ; matériels même. Si on accepte cette nouvelle prémisse on peut finir par accepter les "le racisme est un crime".
Je suis d'accord. Je suis d'accord au sens où
il est impossible de prétendre que les idées n'ont pas d'effets, y compris dans l’ordre des choses matérielles. Les idées d'égalité entre les hommes ou de propriété privée ont transformé matériellement la surface terrestre et toutes les sociétés humaines. Donc oui, sauf à être un matérialiste stricte (un scientifique ?), il faut admettre cela. Mon propos, ce n'était pas de le nier;
mon propos, c'était plutôt d'insister sur le caractère toujours vague et incertain des effets produits par les idées. L'effet matériel d'une idée est toujours indirect, et donc infiniment plus difficile à mesurer qu'un rapport de causalité dans le monde de la matérialité.
Je reprends mon exemple du dessus : un coup de fusil M16 dans la tête de quelqu'un cause un effet immédiat, direct, empiriquement constatable (je parle de la cervelle étalée sur le mur, là). Maintenant, imaginons que quelqu'un se suicide à la suite des propos très méchants que je lui ai dit, mettons 1 mois après que je les lui ai balancé en pleine tête. Là, c'est vraiment moins direct, la chaîne causale est plus compliquée à prouver dans un tribunal. Supposons que je passe en procès pour une telle affaire. Je vais me défendre en plaidant par exemple le fait que j'ai tenu exactement les mêmes propos à 10 autres personnes, et qu'aucune de ces 10 autres personnes ne s'est suicidée, ni n’est en voie de le faire. Certaines de ces personnes m’ont même ri au nez pendant que j’étais en train de leur envoyer les paroles interdites en question ! Donc mes propos ne sauraient être qualifiés de meurtriers. Puis je vais continuer ma plaidoirie en soutenant que le suicidé avait certainement un mal-être intérieur antérieur à mes invectives, que sa femme l’a notamment quitté il y a tout juste 1 an de cela et qu’il ne s’est jamais remis de cette rupture. C’est bien plutôt cette rupture sentimentale qui l’a poussée au suicide, pas mes paroles. Si ça se trouve, il avait prévu de se suicider ce jour ci avant même que je l’invective. Si ça se trouve, il était, au moment où je l’invectivais, totalement dans ses pensées d’amour perdu à jamais et n’entendait même pas les insultes qu’il recevait au visage. "Maintenant que j’y repense, Monsieur le Juge, je vous le dis la main sur le cœur : cet homme était complètement absent pendant que je l’insultais, mes paroles ne pouvaient avoir aucun effet sur lui. Comment des paroles peuvent avoir un quelconque effet sur quelqu’un dont l’esprit est ailleurs, Monsieur le Juge ? Comment Monsieur le juge ? Vous ne me croyez pas ? Et bien prouvez-le, Monsieur le juge… Faites-nous donc la démonstration irréfutable du lien de causalité et d’exclusivité entre mes insultes et son suicide. Bon courage... Monsieur le juge... Parce que moi je vous le dis, Monsieur le juge, c’est sa « pute de femme sans cœur » qui devrait aujourd’hui être à ma place, sur le banc des accusés, vous m’entendez ?!"
Voyez le bordel.
L'existence de loi implique la possibilité de procès contradictoire avec
apport de preuves concrètes et solides permettant de prouver objectivement la culpabilité de l'accusé.
Bonne chance à ceux qui voudront prouver rationnellement, scientifiquement, les effets concrets des idées sur les choses, sur les cœurs, sur les esprits. Il n’est pas près d’exister l’IRM cérébral qui permettra d’apporter ce genre de démonstrations.
"jeandoozz" a écrit :
je ne pense pas que l'on puisse trouver de règle universelle qui s'applique à tous les cas (toujours censurer ou ne jamais censurer) mais que l'on est toujours face à des cas pratiques singuliers vis-à-vis desquels ont être plus ou moins libéral, plus ou moins régulateur.
OK, admettons. Mais attention,
l’absence de règle universelle peut se confondre avec l'absence de textes de loi précis, et l'absence de textes de loi précis peut amener à une situation dramatique de décisions de justice prises arbitrairement. Le juge jugeant selon ses idées, ses croyances, ses envies, ses affinités, sa mauvaise humeur à cause de sa constipation, .... Des procès politiques, en somme. On y arrive, on y est déjà pour certaines affaires, et
c'est ce qui fait que la Justice devient une institution suspecte comme tout le reste, avec des juges aussi corrompus et gangrenés que les journalistes et les hommes politiques. Hop Hop Hop ! Guillotine tout ça !
"jeandoozz" a écrit :
étant donné que la science peut découvrir et produire des formules magiques capables de tuer ses voisins, la bonne prévention n'est-elle pas, au fond, de tout simplement être prudent - prudence des scientifiques ; prudence des maisons d'édition ; prudence des industries ; prudence des citoyens - ?
Et que les libéraux ne viennent pas confondre prudence et réglementation bureaucratique et étatique :p
Je ne pense pas que les libéraux classiques confondent la prudence et la bureaucratie. La prudence est une vertu qu'ils acceptent volontiers, au même titre que la recherche de compromis (notamment par la discussion (libre) des différentes positions, des différents intérêts).
Ceci étant dit, je comprends ce que tu dis, j'aurais aimé avoir cette position (aristotélicienne) - ou plutôt, j'aurais aimé encore avoir cette position.
Malheureusement, je suis désormais une âme perdue. Je suis devenu trop suspicieux. Trop suspicieux à l'égard de tout. Je suis convaincu que tous les mots mignons (et "prudence" est un mot très très mignon !) sont toujours les masques d'une enculade, ou d’une enculade potentielle. Avant de signer, j’ai besoin qu'on me précise
le contenu concret des termes du contrat, et aussi qu'on me précise qui, quel groupe d’intérêt manipule le terme en question. Je suis un con, je le sais, mais c'est ce qui arrive à force de bouffer du cheval étiqueté « lasagnes au bœuf »...