Je suis parti sur le fil très mince de la rédaction : un roi, une princesse, une histoire d'amour et un drapeau blanc taché de rouge. Très rapidement, dans mon esprit, les taches sont devenus du sang et j'ai voulu écrire une forme de Bloody Valentine Day. C'est Paco qui en faisant référence à une de ses relectures à la bouquinerie m'a mis sur la piste d'American Psycho : écrire une texte court "à la manière de". En ce sens, c'est un exercice de style.
Dans Américan Psycho, le propos de Bret Easton Ellis est de mettre l'Amérique en porte à faux avec elle-même en présentant le héros de l'époque, l'homme de toutes les réussites, le golden boy, comme un être abject, ignoble, superficiel, obnubilé par son apparence, son succès et les références matérielles qui l'incarne. Il est raciste, homophobe, machiste, cynique et sa folie ultra violente s'exerce contre les faibles en réaction et à l'image d'une société agressive, ultra libérale et individualiste. J'ai donc recherché à faire un parallèle entre l'Amérique de Reagan et ses valeurs "bon teint" et l'univers aux références Bien/Mal très marquées et simplistes de Magic .
Il me fallait un homme au dessus de tout soupçon, un roi ou un prince donc, véhiculant des valeurs positives, religieuses et morales. Il fallait qu'il soit de couleur blanche (le Bien et le coté civilisation de la couleur blanche à Magic) et que son attitude ne soit pas fortuite et gratuite. En cherchant dans l'univers de Magic, (J'avais éliminé Gerrard qui n'est pas roi et tout au plus un gendre idéal et mièvre) j'ai lu dans une storyline (officielle ou non ?) qu'après Coldsnap, le petit fils du roi Darien (le Darien de la carte) était monté sur le trône sous le nom de Darien "the foolish", qu'il avait fait executé son frère et sa femme parce qu'ils avaient couchés ensemble, banni celui qu'il avait pris pour son fils et son successeur et mené de violentes guerres de conquétes hors des frontieres de la New Argive.
Il m'a paru correspondre à l'homme qu'il me fallait, haïssant les femmes puisque trahi par la sienne, haïssant sa famille et ses proches puisque trahi par son frère, schizophrène d'envergure tiraillé entre les valeurs de sa charge royale à assumer et la réalité de la vie qui fait de lui un écorché vif, un solitaire, méprisant les pauvres et la pauvreté en réaction à la pesanteur de ses fonctions et se réfugiant dans un état second, une forme d'égocentrisme protecteur et fastueux où seuls sont perçus avec acuité le luxe et la splendeur qui l'entourent comme un cocon. Pour accentuer le parallèle avec Américan Psycho, comme il n'existe pas de trademark dans Magic contrairement au monde réel (pas de Lacoste, Amani, Dior... etc...) j'ai donc dû inventé une forme d'annuaire du luxe en partant du nom des cartes.
Je me suis lancé en sachant très bien que la difficulté majeure était l'obligation de faire un texte relativement court. Je n'avais pas 300 pages à ma disposition comme Ellis, je n'ai pas non plus son talent. J'ai donc dû condenser l'ensemble du récit sur une unique journée du roi et en trois ou quatre tableaux puis retomber sur mes pattes en terminant avec la métaphore du viol comme une tour prise d'assaut. En cela, on ne retrouve pas la manière très glissée et très progressive qui existe dans American Psycho pour amener le lecteur à accepter l'innommable. La forme donne donc un ensemble moins fini, plus brut à cause de la brieveté du texte puisque Américan Psycho est infiniment plus riche et troublant que, je le répète, ce pastiche.
Je me devais de fournir ces précisions supplémentaires.
Je ne suis pas étonné de la réaction d'ohrgg. "maniérisme sauvage et pédant" , " incohérence d'une malsaine gratuité" , "un bourreau lui même dans une position d'insatisfaction" sont des termes qui pourrait parfaitement coller à Américan Psycho (et ont d'ailleurs été largement servis par les critiques lors de sa parution). A ce titre, je suis donc satisfait de ses impressions de lecture.
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