Le Petit draft de boutique : Winner Contest#1
Un événement pour lequel il vaut mieux être bien préparé
écrit par Antoine Bouziat


      Les boutiques de cartes Magic ont besoin d'argent. Eh oui, déjà qu'elles souffrent d'un cruel manque de reconnaissance (" Et toi c'est quoi ton job ?- euh…moi ? je vends des bouts de carton avec des gros monstres dessinés dessus. "), manquerait plus qu'on doive y mourir de faim. Pour dénicher ces précieux deniers, plusieurs solutions existent :

Diversifier ses activités : " Écoutez bien m'sieurs dames, un booster acheté, c'est un croissant offert ! "

Les parties de démonstration rémunérées : " Je vous assure, m'sieur le Maire, Magic attirera du monde à vot' festival : c'est des bouts de cartons avec des gros monstres dessinés dessus !…ben…monsieur le Maire ? monsieur le Maire ? "

Ou l'idée de génie : organiser un booster draft !!! En faisant payer 10 euros les 3 boosters et les 4 matchs, voilà de quoi attirer une foule de joueurs venus jouer dans une bonne ambiance ou se familiariser avec une nouvelle extension.

Mais attention ! Le petit draft de boutique n'a absolument rien à voir avec celui des tournois, tels les pro tours, où le draft est codifié, encadré et maîtrisé par tous. Ici, que vous soyez adeptes des tournois pros, cracks du T2 ou simple débutant, ne vous aventurez pas dans un petit draft de boutique sans avoir lu le guide qui suit !


1- Le commencement

Vous arrivez dans votre petite boutique préférée pour acheter les 2 boosters yu-gi-oh que vous a réclamé votre petit frère et là - oh surprise !- vous apercevez une ardoise accrochée au présentoir sur laquelle est écrit en lettres majuscules "Samedi 5 mars : draft Kamigawa Arbitrage qualifié, de nombreux lots à gagner, redistribution des rares et premiums par ordre de classement."
Ca y est, vous salivez, vous en oubliez les boosters yu-gi-oh, annulez tous vos rendez-vous la semaine du 5 et ne rêvez plus que des spoilers que vous allez amasser lors de la redistribution, et à la stèle que vous dédieront les vendeurs après votre éclatante victoire…


2 - Arrivée sur les lieux du draft

C'est le jour J. Vous avez fait l'impasse sur votre interro de math pour réviser tous les archétypes et techniques de champions au sujet du draft en Kamigawa. Vous connaissez par cœur les first picks de l'extension et les couleurs à forcer. Vous êtes là, votre paquet de terrains de base sous la main, prêt à écraser toute forme d'opposition, mais - premier hic- vous ne voyez personne : pas d'arbitres en t-shirts rayés, pas de théoriciens en train de disserter à propos de l'impact du quatrième pick sur le demi-splash d'un weeny noir, juste un vendeur débordé par les fans de yu-gi-oh à côté de trois pèlerins en train de tester leur deck T2. Vous apprenez rapidement que ce vendeur est aussi organisateur et arbitre du tournoi et que bien que le draft soit programmé à 14h , mieux vaut attendre 15h, voir s'il y a du monde. Ah non ! vous n'avez pas fait tout ces sacrifices pour affronter 3 pèlerins, vous voulez une pléthore de concurrents pour assouvir votre soif de victoire.
A 15h, ils sont 6.

" Ben à 7 on peut quand même drafter " affirme le vendeur.

Il vous entraîne dans une arrière salle petite et obscure mais couverte de posters Magic. Il y trône une table et 8 chaises. L’adrénaline commence à monter, le draft va bientôt commencer… mais personne n’a encore payé. Vos adversaire se mettent alors aux ventes furtives de cartes à l’unité pour totaliser les 10 euros nécessaires à leur participation. Pendant ce temps, vous revoyez une dernière fois les archétypes et les combos à ne pas oublier. Mais c’est alors que tout s’écroule : le vendeur vous annonce d’une voix maigrelette :

" Euh…il ne reste plus de boosters Kamigawa, on a un problème d’approvisionnement. Par contre, il reste un paquet de 8ème, une boîte d’Odyssée et un vieux fond de Fallen Empires. On va liquider les stocks. "

Vous vous révoltez mais vos adversaires vous glissent, narquois :

" T’inquiètes pas. C’est toujours comme ça. L’année dernière on a eu droit à un format Planeshift - Tourment - Légions ! "

Les traîtres ! Cela ne peut être qu’un complot : ils sont de mèche avec le vendeur ! Voilà toutes vos belles études rendues obsolètes ! Qui connaît le format Fallen Empires - Odyssée - 8ème ? Personne, mais ce n’est pas ça qui va vous arrêter…


3 - Le draft

L'ouverture des boosters se fait avec frénésie, voire hystérie. Vous ouvrez une rare surcôtée mais vous la laissez passer : de toute façon vous la récupérerez lors de la redistribution. Petit à petit, tout le monde se calme et les picks s'enchaînent alors plutôt rapidement… jusqu'à l'arrivée du public. Eh oui, l'arrière-salle ne vous est pas réservée et tout le monde peut y entrer pour échanger des cartes. Seulement, certains ont aussi envie de suivre le draft. On peut distinguer :

Le Gamin (aussi appelé yu-gi fan) : il est très impressionné par cette pratique curieuse qui consiste à se passer les boosters. Mais vous sentez que son innocence le rend particulièrement bavard. Il tourne autour de la table les yeux écarquillés tandis que vos adversaires suent à grosses gouttes et cachent les premiums qu'ils tiennent dans leur main. Derrière qui va-t-il s'arrêter ? Aïe aïe aïe ! Il a vu que vous teniez une carte rare ! Il se juche derrière votre épaule et c'est parti pour le flot de questions :
" Ah ? pourquoi tu prends que des cartes noires ? "
" Oh oui, t'as raison, le rouge c'est fort aussi, mon frère quand il a son deck elfe il dit toujours qu'il y a que le rouge qui peut le battre ! "
" Tiens t'aime bien les cartes qui donnent des moins. Tu trouves ça bien ? ".

Au bout de quelques minutes, vous lui achetez un booster yu-gi-oh pour qu'il parte de la salle. Mais tout le monde a déjà compris que vous jouiez un super deck beatdown / anti-bêtes de votre conception et se fait une joie de vous contredrafter à longueur de picks. Et le gamin d'ajouter, tout plein d'innocence :
" Ben pourquoi ils rigolent tous ? j'ai dit quelque chose de mal ? "

Le Pseudo-Crack (aussi appelé gros beauf) : ça c'est le mec qui a roulé sa bosse, tu vois, celui qui connaît Kai Budde en personne, le pro, quoi, celui qui s'abaisse pas à venir jouer dans une petite boutique minable, en gros. Enfin, c'est comme ça qu'il se définit. Pour vous, c'est surtout celui qui commente chacune de vos actions. C'est comme le gamin, sauf qu'en plus vous vous faites traiter de "gros nul qui connaît rien aux cartes" un pick sur deux.

Le Retardataire (aussi appelé casse-couilles) : il va vouloir s'insérer au draft au milieu parce qu'il n'a pas pu venir à temps. Il va vous falloir une rhétorique à toute épreuve pour lui faire comprendre que non ! ce n'est pas possible.

La Jolie Fille (aussi appelée trop rare pour ne pas être reluquée) : ne vous faites pas d'illusions, elle est sûrement ici pour encourager son mec.


4 - Le drame

Le draft continue mais vous croyez de plus en plus à la thèse du complot : en plus du format défavorable et des contredrafts à outrance, vous avez une poisse incroyable. Et si tout cela avait été organisée uniquement pour vous voler le victoire ? Vous arrivez à la fin du premier booster quand un cri violent vient vous arracher à vos pensées paranoïaques : certains boosters circulent à 5 cartes alors que d'autres à 4 seulement ! Il y a eu un erreur dans les transmissions, des picks décalés, un bouchon à un endroit qui a tout fait planté ! Le gamin est tétanisé, le pseudo-crack exaspéré, le vendeur paniqué, les joueurs s'écrient " Draft annulé !!! "… quand soudain vous trouvez une carte par terre.

" C'est rien, elle est juste tombée. "

Tout le monde reprend alors son souffle, surtout que c'est une carte bien pourrie. Vous êtes un héros. Mais… mais il en manque une autre ! Il y avait deux boosters à 4 cartes. Un éclair vient alors fracasser la table. La panique atteint son paroxysme, quand soudain le vendeur monte sur une chaise et s'écrit :

" Qui a plus de cartes que les autres ? "

" Euh… moi, je crois que j'en ai 11 et non 10. " annonce alors piteusement votre voisin de gauche. Vous comptez les vôtres : vous n'en avez que 9.

" Tout va bien ", respire alors le vendeur. " Il y a du avoir un gros cafouillage à votre endroit mais tu vas tirer une carte au hasard dans celles de ton voisin et tout le monde en aura 10. "

Vous vous exécutez : vous héritez de son first pick ! Et dans vos couleurs en plus ! C'est le pied. Votre adversaire, comme tout drafteur dépité, ne peut ajouter qu'un " De toute façon, le limité c'est que de la chance ".
Vous, vous vous relaxez, croyant que ce que vous veniez de vivre n'était autre que la plus grande crise de panique du vingtième siècle, mais vous voyez alors le vendeur repartir en soupirant " Ici, pas un draft où il n'y a pas une couille de ce genre… "


5 - La construction

Trois boosters de draft épuisants sont maintenant derrière vous. Mais rien n'est encore fait : maintenant, il va falloir construire son jeu. En plus des habituelles prises de tête à propos de votre mana curve et 23ème carte, il va falloir penser aussi à éviter d'exposer votre précieux jeu aux regards indiscrets de vos adversaires qui, tout en ramassant un protec’ tombé par terre, vont se faire une joie de regarder si son cercle de protection (du booster 8ème) sera utile de base contre vous ou non, et aux mains du pseudo-crack qui va désormais vouloir regarder les cartes de tout le monde pour construire leur deck à leur place et argumenter ses choix…hmm…" particulièrement judicieux ". Surtout ne lui adressez pas la parole, ne lui demandez pas le moindre conseil, sinon il agrippera vite fait votre deck, le démontera plus vite que son ombre, remplaçant la moitié des cartes, sans oublier d'ajouter face à votre mécontentement un joli " si on peut même plus rendre service. Je croyais que tu voulais de l'aide. " Préférez plutôt le bon vieux vétéran, bien plus discret mais aussi bien plus apte à vous épauler dans cette difficile tâche. Et oui, ça fait du bien de pouvoir se faire aider quelques fois et c'est là qu'on apprécie les petits tournois.


6 - Qui joue contre qui ?

17h00. Il est enfin l'heure d'en découdre avec les autres concurrents. Comme en tournoi T2, on en rencontre de plusieurs types : le tatillon qui chipote sur les règles, le pinpin qui n'y connaît rien, la brute qui crie pour t'intimider, le schizophrène qui parle à son deck ( " Tu vas me les donner tes terrains, hein, sois gentil mon précieux tas de carton… "), la fille canon, convoitée et matée par tous, le véritable crack qui tue tour 2… et bien sûr le type bien avec qui l'on fait une partie sympa.

Mais pour savoir lequel d'entre eux vous allez avoir la chance d'affronter, il faut tirer au sort… Aïe ! vous êtes 7. N'ayez pas peur : cela va vous octroyer un moment de détente opportun juste avant de démarrer les choses sérieuses : le vendeur va en effet revenir en expliquant que le logiciel qui gère les rondes ( " ce n'est pas parce qu'on est petit qu'on ne fait pas les choses comme des professionnels ") a besoin de huit noms et qu'il a donc ajouté un participant imaginaire.

Alors là, c'est le délire le plus total : JFK, Marylin Monroe, Goldorak ou Casimir, tous les noms les plus absurdes peuvent être choisis. Ne faites pas votre grincheux, cédez vous aussi de bon cœur à l'hilarité générale, cela vous décrispera les nerfs avant d'entamer votre premier match.


7 - Les rondes (c'est quand même pour ça qu'on est là, non ?)

Votre deck est au point, votre adversaire devant vous aussi. Mais il reste encore un problème à résoudre : les protec’ ! Et oui, un deck de draft est constitué de cartes venant d'être sorties d'un booster et donc toute neuves ("Near Mint" dans la langue de Sheakspeare) et de vieux terrains de base recyclés datant d'Ice Age pour la plupart ("tout pourraves" dans la langue de Robert Bidochon).

La majorité des joueurs utilisent donc des protège-cartes pour ne pas savoir rien qu'à la vue du top deck quand ils vont piocher un terrain. Mais des petits malins trouvent bien plus "pratique" de s'en passer. Voire pire, des fois, c'est vous qui les avez oublié ! Ne vous inquiétez pas ; vous ne serez pas exclu du tournoi à coup de goudron et de plumes (bien que vous le mériteriez peut-être). Il vous suffit d'inventer une belle excuse pour expliquer cet embarrassant oubli.

" Ma grand mère, elle s'ennuie dans sa maison de retraite, alors je lui apprends à jouer à Magic pour la changer du bridge, et j'ai oublié mes protec' là bas. Je voulais y retourner mais c'était l'heure de la sieste et je ne vais TOUT DE MEME PAS réveiller une femme de cet âge ! " est assez efficace mais ce n'est qu'un exemple, petits menteurs ! A vous par la suite de ne pas être pris l'œil collé contre le dessus de votre paquet dès qu'un mana se laisse désirer…

Allez, ce problème réglé, les matchs commencent ! Vous enchaînez comme prévu victoires sur victoires : vous déboutez le schizophrène en lui disant que les cartes fabriquées au Japon ne comprennent pas le Français, vous renvoyez le tatillon à ses chères études en jurant sur le livret de règles Portal, vous vous marrez un bon coup avec le gars sympa, et la vie est belle… mais bien évidemment vous perdez vos moyens face à la demoiselle, oubliant vos cartes pour ses beaux yeux bleus…


8 - la redistribution des rares (et premiums)

C'est sûrement le moment le plus caractéristique d'un draft de boutique. Votre défaite en dernière ronde vous met à la deuxième place : vous choisirez donc vos rares (ou premiums) en second… mais il y a quelque chose qui cloche : il manque 3 rares et, tiens, c'est bizarre, il manque un joueur aussi.

" Le chien ! il s'est cassé avec ses rares ! "

Mais bon, c'est aussi un bel idiot car le vendeur a gardé son inscription et donc son nom. La prochaine fois qu'il se pointera à la boutique… De vieilles histoires parlent de pendaison par les pieds jusqu'à ce que le coupable trouve la bonne orthographe de phelddagrif, d'autres d'écartelages sur la place publique ou des bon vieux goudrons et plumes, comme au Far West… mais il risque aussi, bien plus gros : être chargé de s'occuper des fans de yu-gi-oh chaque mercredi après-midi pendant un mois !!!

En attendant, il reste 18 rares à se départager. Il n'y a plus un bruit dans la salle. Chacun a repéré celle qui lui plaît et salive en croisant les doigts. Le joli brin de fille, première, prend une carte, puis la repose. La tension est palpable. Le moindre de ses mouvements vers tel ou tel spoiler est un moment d'angoisse. Finalement, elle prend une carte totalement inutile mais " qui est de son illustratrice préférée ".

Ouf ! C'est la libération : vous bondissez sur votre carte comme un tigre sur sa proie. Vos (anciens) adversaires font alors tous de même et vous voilà presque les larmes aux yeux : un enchantement surpuissant dans vos mains et 5 grands dadais sur votre dos. Vous pensez déjà à la combo fatale que vous allez désormais pouvoir mettre en place face à vos potes. Ce serait presque le plus beau jour de votre vie… mais n'exagérons pas : cela ne vaut pas votre cinquième place au type 2 de Ste Mauricette sur Lie l'année dernière !!


9 - De retour chez vous

Voici le légionnaire de retour au bercail. Vous vous affalez sur votre canapé et repensez à cette après-midi : vous ne vous étiez pas autant amusé à Magic depuis la soirée « 1 défaite = 1 gage » chez votre vieux pote Dédé l’embrouille. Vous avez joué, ri, tremblé, pleuré, gagné… tout ça dans la même journée. Reste plus qu’à regarder quand a lieu le prochain… et se dépêcher de réviser les maths pour demain.