Le Monde Magic N°245
Par des passionnés du Monde, pour des passionnés du Monde
écrit par Alban Mas


      Un autre monde
par Steph Alide

7 heures du matin. Jean-Luc ouvre les yeux, fait battre péniblement ses lourdes paupières et glisse hors du lit. Il se traîne péniblement vers la chambre des enfants. C’est l’heure de réveiller Anne-Marie, Anne-Laure et Jean-Sébastien afin qu’ils se préparent pour l’école. Après s’être faufilé dans la chambre commune des trois bambins, Jean-Luc les secoue doucement. Les chérubins se tortillent, remuent de gauche a droite, s’étirent de tout leur long et finalement se laissent tomber mollement de leurs couches, prêts pour la journée. Pendant ce temps, Jean-Louis toujours a moitié endormi, rampe vers la cuisine. Il s’agit de préparer le déjeuner. Il fouille dans le garde-manger et dispose en portions égales la nourriture des enfants. Affamés, Anne-Marie, Anne-Laure et Jean-Sébastien se précipitent sur leur repas du matin. Pour aujourd’hui ce sera : un tronc d’humain, deux jambes d’elfe et quelques yeux de cyclope chacun. Jean-Luc le guivre contemple d’un œil amoureux sa progéniture faire claquer ses petites dents dures comme de l’acier, broyant les os avidement en poussant ces petits cris de plaisir propres aux guivrions. Il est 7h30 du matin. Une nouvelle journée s’amorce dans la petite vie banale de grande Guivre que mène Jean-Luc.

En effet, Jean-Luc est un Guivre tout ce qu’il y a de plus commun : 45 ans, de race verte, 5 mètres pour 250 kilos, marié et trois enfants. Comme a peu près tous les Guivres il passe sa vie a s’occuper des enfants et a gérer les problèmes à la maison dans l’anonymat le plus total pendant que la Guivre décime des meutes d’elfes, et de tout habitant vulnérable de la forêt (hormis pour les rares espèces de Guivres vivant dans les marais, montagnes et autres plaines). Ainsi, alors que la Guivre (originellement appelée la Guivresse, avant d’être renommée plus communément la Guivre) acquiert gloire et renommée auprès des autres créatures, semant la crainte et le respect, le Guivre reste très méconnu du grand public. C’est pour cela que la Guivre est généralement considérée comme une créature asexuée dont la principale occupation est de tuer sauvagement ce qui se trouve sur son passage. Ceci est totalement faux. Ceci n’est que l’aboutissement de centenaires passés à barboter dans une triste ignorance concernant la société Guivrienne. Pour vous, le Monde Magic rend à Jean-Luc ce qui est à Jean-Luc et redonne une certaine dignité à tous ces pères Guivres ignorés, et a toutes ces mères Guivres mal comprises. Voici les conclusions de notre étude.
Il faut tout d’abord préciser que les relations guivriennes s’établissent sur une base qui va à l’encontre de la conception patriarcale de la plupart des sociétés d’êtres vivants. Ainsi le rapport traditionnel homme/femme est renversé, étonnant de modernité lorsqu’on sait que ce modèle dure depuis des millénaires chez les Guivres. Le père reste au foyer, élevant les enfants et réglant les problèmes domestique tandis que la mère part en chasse afin de procurer à sa progéniture une pitance pantagruélique mais parcimonieusement partagée par les parents entre chaque petit. La Guivresse (ou Guivre) ne tue ainsi donc pas par plaisir contrairement a ce que des générations ignares d’hommes, d’elfes et d’autres créatures pseudo-pensantes se sont complus à inventer. Là où un chasseur affiche fièrement les défenses d’une Guivre dans sa demeure, la tête d’un chasseur finit irrémédiablement au fond de l’estomac d’un Guivrion, afin de favoriser sa croissance ce qui est le but naturel de tout être vivant. Où est l’animal, où est la créature civilisée ?


Notre zoologue attitré, Guy Vradict, et son ami Jean-Luc



Mais l’exclusivité qui vous est fournie par le Monde Magic ne s’arrête pas là. Le monde méconnu des Guivres a pu être étudié dans une profondeur inégalée grâce à notre zoologue officiel, Guy Vradict. Il a en effet découvert le moyen de communiquer avec ces fascinants animaux. Comment ? Après avoir vu le film de Steven Spielberg, Jurassic Park 3, où l’un des personnages établit un dialogue étonnant avec les redoutables Vélociraptors en soufflant dans le crâne d’un de feu leur congénère. Si des esprits faibles ont pu rire de cette situation qui il est vrai paraît invraisemblable, ce ne fut pas le cas de Guy Vradict. Saisissant son courage (ainsi qu’un crâne de Guivre légué par son grand-père) à deux mains, il est allé en territoire Guivrien et à réussi à converser avec des Guivres, échappant ainsi à une mort certaine qui pour le coup devint incertaine. Là ou d’autres ne sont pas revenus, Mr. Vradict y est parvenu. Il a développé une relation de complicité, d’amitié a vrai dire, avec une Guivre en particulier, dont le nom tels que nous pourrions l’exprimer ressemble à notre « Jean-Luc ». Oh les plus cinéphiles d’entre vous lecteurs bondiront sûrement sur des surnoms tels que « L’homme qui murmurait à l’oreille des Guivres », « Guivre dans la brume », « Danse avec les Guivres » ou encore « Mon ami Jean-Luc ». Ils ne seraient certainement pas usurpés. De Jean-Luc, Guy a appris beaucoup. Ainsi, tous les Guivres ont un prénom commençant par Jean : Jean-Luc, Jean-Claude.. En revanche, les Guivresses prennent un nom commençant par Anne tel qu’Anne-Sophie ou Anne-Marie. Il semblerait que ces noms soient donné en hommage a un couple d’humains qui aurait vécu en osmose avec les premières Guivres des millénaires auparavant. Ces humains se seraient nommés vous l’aurez devinez, intelligents lecteurs, Jean et Anne. La société Guivrienne n’est pas non plus anarchique, contrairement à ce que l’on pourrait croire. Chaque forêt est unie en une petite fédération régie par un « Guivrerneur » (généralement une femelle dominante), fédérations unies sous l’égide d’un grand Royaume des Guivres. Le Royaume est dirigé par un binôme qui n’est autre que le couple royal (la parité étant une notion importante chez les Guivres), actuellement Jean-Kule II et Anne-Al la Grande.


Vous n’aurez pas manqué d’imaginer ce film, qui n’existera jamais, lecteurs !



Mais vous l’aurez compris, les Guivres se soucient plus du bien-être de leur famille que de celui de leur royaume ou même de leur fédération. C’est pour cela que les pères, à l’image de Jean-Luc, s’occupent minutieusement des enfants. Chaque matin ils les emmènent à l’école de la Vie. Etant donné que les Jean-Guivre (c’est ainsi qu’on appelle les pères Guivres) ne mesurent en moyenne que 5 mètres, soit 4 a 6 fois moins que leurs compagnes, il leur est plus facile de passer inaperçu dans la forêt. Ils emmènent les enfants dans une clairière isolée, protégée par quelques Anne-Guivre volontaires, pour leur enseigner les fondements de la vie de Guivre. Les jeunes Jean-Guivre sont ensuite ramenés a la maison l’après-midi pour apprendre les tâches quotidiennes du père Guivre : le nettoyage du terrier, la préparation de la nourriture, mais aussi le repérage des lieux de chasse intéressants et la courtoisie inter-guivrienne. Pendant ce temps, les Guivrionnes se voient enseigner l’art de la chasse par des Guivresses vétéranes.

Je vois d’ici votre encéphale se convulser, jeunes lecteurs. « Vétérane » ? Au-delà du fait que le mot vétérane semble grammaticalement douteux, une question vous vient sûrement à l’esprit : comment se fait-il que l’on n’aie jamais entendu parler de Guivre édentée, flasque, trop lente pour se déplacer efficacement, bref une Guivre vieille ? Guy Vradict a également résolu le mystère, aux travers de ses innombrables conversations avec Jean-Luc. Lorsque la mère Guivre se fait trop faible pour chasser, le cycle naturel Guivrien fait que les jeunes Guivrionnes sont pratiquement en âge de chasser. Un étrange jeu commence alors. Les Guivrionnes sentant l’heure venir, s’élancent à la poursuite de leur mère : elle sera leur première proie d’importance. Vie et mort s’entrecroisent dans cette course-poursuite, comme les corps serpentins des jeunes animaux héraldiques qui s’enroulent autour du corps fatigué de la mère, dans une ultime caresse strangulatoire, avant de la dévorer. Les Guivrionnes qui parviennent à vaincre leur mère deviennent ainsi Guivresses à leur tour, tandis que la faible mère, poids en trop dans la biosphère Guivrienne, disparaît. Il n’est pas rare que certaines Guivrionnes soient tuées pendant l’affrontement matricide. Cela limite la surpopulation, s’inscrit dans le processus de sélection naturelle (survie du plus apte) et fournit une source de nourriture supplémentaire pour les jeunes Guivres triomphantes : elles mangeront également les cadavres de leurs faibles sœurs. Cette étape extrêmement violente sur divers plans peut choquer certains d’entre vous lecteurs. Si le Monde Magic ne nie pas qu’un tel rituel rend difficile l’admiration voire le simple respect des Guivres, il tient à préciser que la mère Guivre elle-même prépare les Guivrionnes a ce jour fatal ou elles devront la dévorer, pour ce que les Guivres considèrent comme le bien général de la famille. Ceci pourrait être comparé aux Esquimaux qui autrefois quittaient l’igloo lorsqu’ils devenaient trop vieux et marchaient vers une mort certaine, seuls au milieu de la banquise. Un suicide altruiste dirait Durkheim. Ce qu’il faut en penser, le Monde Magic vous le réserve lecteur, et se contente de présenter les faits de cette fascinante société animale. Le destin des Jean-Guivre en revanche est encore une fois bien moins héroïque. En effet, une fois la figure maternelle disparue, les Guivrions et les Guivrionnes quittent le foyer, partant à la recherche d’un ou d’une partenaire. Le Guivre meurt généralement de faim, incapable de chasser par lui-même, oublié de ses enfants. Et le cycle de la vie se perpétue au travers de la reproduction des Guivrions et Guivrionnes..

C’est cette société complexe, violente et a la fois vibrante que le Monde Magic a voulu vous faire découvrir, au travers d’un article qui ne parvient qu’à effleurer la réalité d’un monde méconnu. Des hommes comme Guy Vradict, mais aussi l’océanologue britannique Elmer Folk ou encore le zoologue espagnol Angel Serra repoussent chaque jour par leur travail les limites de l’ignorance. Et c’est cette ignorance qui pousse à l’incompréhension, à la peur et au final à la destruction inutile entre les créatures. Et peut-être qu’un peu moins de peur, un peu moins d’incompréhension, et un peu plus de fraternité, d’entente, amèneront à construire au lieu de déconstruire. Evidemment cela ne veut pas dire que vous devez vous aventurer dans les bois, munis d’un crâne de Guivre en espérant ainsi imiter Guy Vradict et aller au contact d’un nouveau Jean-Luc. Vous risquez de vous faire simplement manger par une Guivresse qui veut nourrir ses enfants avec votre cadavre. Et si vous tuez une Guivre qui vous attaque, c’est naturel. Mais est-il bien nécessaire d’organiser ces battues massives ou une centaine de chasseurs massacrent pour le plaisir des Guivres qu’ils ne mangeront même pas ? C’est cela que le monde des créatures bien-pensantes doit se demander.


Steph Alide