L'odyssée d'Elvish
écrit par Guillaume Ringot


      
Elvish se retourna promptement, tandis que la bête qui le poursuivait se rapprochait de plus en plus. Il cavalait entre les racines et les troncs des arbres de la Krosia, grande forêt aux créatures et aux dangers innombrables. Derrière lui, il entendait les cris des animaux qui fuyaient devant la mort. Pour l'elfe, tout espoir semblait s'être envolé.

Soudain une ouverture apparut sous les racines d’un arbre sans doute millénaire. Elvish n’y réfléchit pas deux fois et plongea vers son hypothétique salut. Il atterrit sur un sol souple et moussu qui amortit sa chute. A l'instant, une rangée de dents acérées passa devant la trouée qui servait d’entrée à la cavité, s’y attarda quelques instants, puis poursuivit son chemin dans les méandres des bois. Elle appartenait à une Bête de la Krosia d’au moins six mètres...

La petite créature s’octroya une pause pour reprendre haleine. On lui avait prédit beaucoup de difficultés, mais il ne s’attendait pas à ça ! Et dire qu’il était encore si loin du terme de sa mission...

Pensivement, elle sortit quelque chose de sa poche et l’observa un peu plus en détail. C’était une magnifique pierre couleur sang, aux multiples facettes, pendue à une chaîne argentée, aux maillons resserrés et fort bien ouvragés. Un craquement à l’extérieur la fit sursauter. Elle remit promptement la pierre à sa place, mais n’eut pas le temps de remarquer qu’elle semblait animée de flamboiements fugaces...

Au dehors, les étoiles commençaient à poindre, et passer la nuit dans la Krosia seul et armé d'un simple arc était synonyme de suicide. Mieux valait trouver un repaire en hauteur, cela protégeait au moins de la plupart des ennemis terrestres. Elvish jeta un bref regard aux alentours, et repéra une petite colline à quelques centaines de mètres. Elle n’émergeait pas des arbres, mais l’éclat d’une flamme la mettait en valeur. La nature curieuse d’Elvish le poussa vers cette clarté qui contrastait si bien avec les ténèbres alentours.

Il s'arrêta tout proche et se figea lorsqu'il entendit des ronflements. Tapis dans l'obscurité, il observa la créature qui dormait paisiblement au coin d'un feu immense, fait si inhabituel dans cette forêt.

Il s'agissait d'un géant d'une taille considérable, armé de toutes parts, le crâne rasé et qui avait tendance à faire un léger vacarme lorsqu'il expirait. Cette créature semblait bien sûre d'elle pour faire halte en un lieu si inhospitalier, en ayant qui plus est un magnifique gigot qui rôtissait dans la flambée...

Peut être qu'elle voudrait partager ? se dit Elvish qui dut en rester là pour ses suppositions. En effet, il sentit quelque chose se resserrer autour de ses chevilles. Il baissa les yeux avec une certaine appréhension quand à ce qu'il allait découvrir. Il ne fut pas déçu : les larges et sinueux anneaux d'un long serpent se rétrécissaient le long de ses jambes.

Une nuée d'oiseaux s'envola lorsqu'il poussa un cri profond. Le boa constrictor le souleva de terre. Tout, dans la Krosia était démesuré, l'elfe eut une nouvelle fois l'occasion de s'en rendre compte. Il commença à étouffer et sentait le sang battre à ses tempes. Il fallait qu'il réussisse à prendre son couteau, malheureusement ses bras étaient trop étroitement étreints...

Soudain, il entendit le bruit caractéristique d'une lame qui s'enfonce dans la chair. Il ne sentait plus rien. Peut-être était-il mort ? Le venin de ces animaux tue presque instantanément. Tout autour n'était que ténèbres...
Elvish reprit connaissance. Sa fin n'était pas encore venue, il était allongé sur le dos. Il ouvrit à grand peine les yeux et regarda l'énorme tête qui le surplombait. C'était le géant. Il ne semblait pas lui vouloir de mal, et à en juger par le sang noirâtre qui coulait de son poignard, l'elfe lui devait la vie...

-Tu veux manger quelque chose ? Lança le géant, d'une voix assurée mais dénuée de toute menace.
-Pourquoi pas, Hésita Elvish, merci pour ce que vous avez fait...
-Ce n'est rien... Justement j'allais manquer de vivres...


L'elfe jeta alors son regard sur le feu, où grillait maintenant sur la broche un morceau du serpent qui l'avait agressé. Cette vision le rassura, on ne sait jamais...
Le géant s'appelait Tnaeg, il n'était pas venu en touriste dans la Krosia mais devait se rendre à la cité de Barter, pour y vendre ses fourrures. Cette agglomération qui se trouve entre les Deux Mondes est un lieu très prisé de tous les marchands. Il se trouve que c'est là que doit se rendre Elvish, pour remplir sa mission et retrouver sa maison...

-Tu sais, les chemins ne sont pas sûrs dans le coin. On pourrait faire route ensemble, et on m'a dit que les elfes étaient de bons chasseurs, alors si tu assures le ravitaillement....
-Avec plaisir
, s'empressa de répondre Elvish, trop content de trouver une protection.


Ainsi, les deux compagnons firent route vers le sud et la cité, leur objectif commun.
Après trois jours de marche harassante à travers la forêt, ils arrivèrent au pied de la Serra, une grande montagne aux pics déchiquetés et aux abords hostiles...

-Il va nous falloir la gravir pour passer, la ville est de l'autre côté, et un détour nous prendrait trop de temps, annonça Tnaeg, sur un ton qui n'admettait pas de contestation

L'elfe et le géant commencèrent leur ascension périlleuse. Sous la paroi rocheuse, on sentait bouillir la lave d'un volcan depuis trop longtemps entravée, bien que les sommets de la montagne soient depuis toujours enneigés.


La nuit arriva, Elvish et Tnaeg recherchèrent un abri. Après quelques minutes d'observations, le géant découvrit une caverne protégée par un large surplomb rocheux qui ferait leur affaire. En s'en approchant, il observa avec attention le rocher qui gardait l'entrée de la cavité. Il représentait, avec une ressemblance assez frappante, la tête hérissée de pointes d'une créature.

-C'est mignon ici ! Lança Tnaeg. Ca me rappelle la baraque de ma tante.
-Ca manque un peu de lumière quand même, ajouta Elvish.
-T'inquiète pas petit, on va en faire.


Sur ces mots le géant s'agenouilla, ramassa deux pierres, ouvrit sa besace et en sortit une torche noircie. Il demanda à son compagnon de la tenir, et entrechoqua les deux pierres avec une force telle qu'une pluie d'étincelles en jaillit et embrasa la substance aux reflets colorés qui enveloppait le flambeau. Ils pénétrèrent dans la grotte.


A peine eurent-ils fait dix pas qu'un grondement se fit entendre. Les murs de la caverne se mirent à trembler et des stalactites pointues et longues comme un homme tombèrent de la voûte. Une avalanche de rochers tomba juste derrière eux. Ils se jetèrent en avant pour éviter d'être enterrés, Elvish sortit son arc et Tnaeg son couteau. Enfin, après que le dernier bloc soit tombé, un long silence s'installa, seulement troublé par les gouttes d'eau brûlantes qui s'infiltraient par le plafond. Les deux prisonniers étaient aux aguets.

Au centre était un lac aux eaux turquoises et miroitantes. En son milieu apparaissait une sorte de nid illuminé comme par enchantement.

Un grognement se fit entendre, provenant des tréfonds de la caverne. Le goutte à goutte incessant, amplifié par la structure de la cavité, remplissait les oreilles des deux amis. Un autre grognement. Lentement, une pensée s'imposa à eux.


Ils n'étaient pas seuls dans l'antre.